HEBREUX
En réponse à votre texte sur l'interdiction du porc chez les Juifs, je vous
adresse un texte que j'avais rédigé il y a une quinzaine d'années, et qui
rejoint vos réflexions, en les complétant.
Bien à vous,
Simon Pilczer,
Juif laïc et "croyant".
Pourquoi le porc est-il interdit aux Juifs ?
Chacun sait que pour le juif, c'est l'interdit alimentaire le plus
élémentaire, celui que même le Juif le moins observant tend à respecter, celui
en quoi
le non-juif croit résumer toute la cashrout, celui que le prophète Mohamed a
repris dans le coran et imposé aux Musulmans.
Pourquoi cet interdit si fort ?
Certains, férus de modernité, rattachant l'interdit à des raisons d'hygiène,
prétendant que c'est la craint du taenia ou d'autres parasitoses transmises
par le porc qui serait à l'origine de cet interdit, et arguant du bon état de la
surveillance vétérinaire actuelle, se croient autorisés à transgresser.
La majorité se récrie en disant :
" c'est interdit parce que la Tora le prescrit " et cet argument d'autorité
peut paraître suffisant au croyant, qui considère que le bénéfice hygiénique
est offert de surcroît.
Mais essayons d'aller plus loin…
Les médecins savent que le porc est un excellent modèle expérimental dans de
nombreux domaines de la pharmacologie moderne : ainsi la peau de porc est-elle
proche de la peau humaine, le système cardiovasculaire du porc est utilisé
comme modèle dans l'athérosclérose, et pour tester les propriétés hémodynamiques
de nouveaux médicaments ; de même l'estomac de porc est-il utilisé pour
éprouver de nouveaux anti-ulcéreux et de nouveaux anti-inflammatoires non
stéroïdiens ; l'insuline de porc est utilisée pour le traitement des diabétiques ;
bref, le porc possède une physiologie organique assez proche de l'humain.
Retour en arrière
Je vais même tenter un rapprochement osé : vous vous souvenez que dans les
années 70, une équipe de football argentine, dont l'avion s'était écrasé dans
les Andes au cours d'un voyage au Chili, avait eu environ la moitié de ses
membres rescapés, alors que le cadavre des autres était conservé dans ce
congélateur naturel que constitue la haute vallée andine. Deux équipiers
partirent à la
recherche de secours au Chili, et les survivants décidèrent de se nourrir de
la chair de leurs camarades morts. Plus tard, quand ils seront retrouvés par
les équipes de sauveteurs, ils invoqueront l'eucharistie pour expliquer leur
attitude, ce qui sera refusé par l'Eglise, qui n'acceptera que les besoins vitaux
comme justification.
Mais le point intéressant dans cette affaire, outre l'extraordinaire concours
de circonstances qui aura permis leur survie, c'est qu'ils pourront répondre
à la question :
" Mais la chair humaine, quel goût ça a ? "
Eh bien la réponse fut univoque : la chair humaine, ça a le goût de porc !!
Si j'évoque cette histoire, ce n'est pas pour justifier l'interdiction de
l'anthropophagie qui est aujourd'hui presque universelle. C'est pour rappeler un
fondement de la cashrout que Gérard Haddad notait très justement dans son
livre " Manger le livre ". Pour les juifs, l'acte de manger, c'est en quelque
sorte humaniser le monde. En effet, les aliments que l'on ingère vont se
transformer en énergie et en chair humaine, et il est facile de comprendre cela. La
conséquence pour un Juif, c'est qu'il doit être attentif à ce qu'il absorbe,
parce qu'il va l'humaniser, et même le " judaïser ", en quelque sorte.
Par ailleurs, le porc en hébreu se dit h'azir, de la même racine que le verbe
h'ozer qui signifie : " Je retourne en arrière ".
Dans plusieurs langues, se comporter comme un porc, c'est être répugnant,
repoussant : " être sale comme un porc ", " se vautrer comme un porc ", sont des
attitudes qui inspirent le mépris et le dégoût.
Mon explication de l'interdit du porc dans la Torah sera de lier la nécessité
morale de s'élever pendant le cours de son existence et de refuser
d'humaniser à travers son alimentation un animal répugnant.
Dans le même esprit, et cette conception n'est peut-être pas totalement
casher, dans la mesure où l'on devient un peu ce que l'on ingère, le fait de manger
du porc peut retentir négativement sur notre comportement.
Les lois de la cashrout ont une logique assez facile à pénétrer, et
lumineusement expliquée dans Manger le Livre. Au début des années 1980, je
suivais le
cours de pensée juive donné par Raphaël Cohen au centre Rachi, et la question
suivante fut posée : " Pourquoi la Torah interdit-elle la consommation de
lièvre, ou du lapin, en arguant du fait que le lapin rumine, mais n'a pas le pied
fourchu ? Le lapin ne rumine pas ! Et Raphaël Cohen, embarrassé, nous répondit
: " Je connais une Yeshiva où, à cette question, le rav répond : si la Tora le
dit, c'est que c'est vrai ! Et ils ruminent ça dans la Yeshiva, et ils sont
contents ! "
Eh bien en y réfléchissant, c'est la Tora qui a raison ! En effet, le lapin
ingère une deuxième fois ses excréments frais pour mieux les digérer, ce qui
constitue une forme de rumination…
Vous voyez bien que c'est la Tora qui a raison !
Simon Pilczer, texte rédigé vers 1990
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