CE QUE LA SOCIÉTÉ MODERNE DOIT AU JUDAÏSME

On s'est proposé de faire connaître par le présent
essai ce que la société moderne doit au judaïsme*. Au judaïsme
et non aux juifs. Ceux-ci ont, bien plus que celui-là, contribué
dans maints domaines à la formation de la société moderne :
science, industrie, finance, art, littérature, théâtre,
inventions, découvertes, explorations, sociologie, politique,
etc.. Mais on ne s'occupera ici que de l'apport du judaïsme
dans l'ordre spirituel et moral. Notre propos n'est pas de
diminuer l'importance des autres contributions, mais elles
constitueraient le sujet d'une autre étude.
« AU COMMENCEMENT, DIEU... »
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(•) Le terme judaïsme est employé diversement.
Nous entendons par là l'ensemble des enseignements, des croyances, des règles
de vie et de conduite des juifs.
La première, la principale contribution du judaïsme est sa notion de
Dieu. Certes, il n'a pas découvert Dieu, mais Dieu tel que le voit la
société occidentale est Celui que le judaïsme a progressivement défini
et héroïquement enseigné. Le concept de Dieu comme Réalité
invisible, le concept du monothéisme avec sa répudiation hardie et révolutionnaire
du polythéisme et du paganisme constitue une contribution du judaïsme
à la pensée religieuse de l'homme civilisé. Sans ce concept d'unité
qui imprègne tout être, la science moderne eût été impossible. En
effet, le monothéisme n'enseigne pas seulement l'unité de Dieu, mais
encore conduit à la croyance en une « régularité cosmique absolue t.
Le concept de Dieu, non seulement qu'il est l'Unique, mais l'Unique qui
est sanctifié par la justice (1), de Dieu qui est toute justice, aux
yeux de qui le mal est détesté, de Dieu dont Abraham a dit qu'il est
« le juge de toute la terre (qui) ne peut agir injustement (2), de Dieu
dont le Psalmiste a chanté « La droiture et la justice sont les
fondements de Ton Trône » (3), et encore ; « Tu n'es pas un Dieu qui
prend plaisir à la méchanceté, le mal ne trouve pas accès auprès de
Toi, tu détestes tous les artisans d'iniquité » (4), le Dieu d'Osée
qui, le premier, a parlé de Lui comme gracieux, aimant et pitoyable ;
cette idée de Dieu qui s'est élevée de débuts grossiers et naïfs à
la "hauteur et à la dignité d'une expérience et d'une expression
prophétiques ; voilà la contribution du judaïsme à la civilisation
humaine. C'est ce qu'on a nommé le monothéisme éthique. En
identifiant le Dieu omniprésent avec la justice, le judaïsme a fait de la justice la clé de voûte de
l'univers.
Quelle sorte de culte Dieu approuve-t-il ? Isaïe a répondu en termes mémorables
: « Courber la tête « comme un roseau, se coucher sur le cilice et la
« cendre, est-ce là ce que tu appelles un jeûne, un « jour bienvenu
de l'Eternel ? Voici le jeûne, que « j'aime : c'est de rompre les chaînes
de l'injustice,

«dénouer les liens de tous les jougs, renvoyer libres i ceux qu'on
opprimait, briser enfin toute servitude, « puis encore partager ton
pain avec l'affamé, recueil-« lir dans ta maison les malheureux sans
asile, vêtir « ceux qui sont nus, ne jamais te dérober à ceux qui a
sont comme ta propre chair ■» (5). Et, dit Michée, dans ce qui
est, sans aucun doute, la plus explicite et la plus véritable définition
qu'on ait jamais donnée de la religion : « Homme, on t'a dit ce qui
est bien, ce que le Seigneur demande de toi : rien que de pratiquer la
justice, d'aimer la bonté et de marcher humblement avec ton Dieu t (6).
Ce concept, amplifié et enrichi par la suite, c'est la précieuse
contribution du judaïsme à la société moderne, qui en a bien plus
besoin que maintes générations d'autrefois. Et si ce concept d'un Dieu
unique, d'un Dieu de justice, d'amour, de pitié et de droiture est
profondément ancré dans la pensée religieuse de l'humanité
contemporaine, d'où cela vient-il, sinon du judaïsme tel qu'il est défini
dans la Bible et développé dans les enseignements et écrits postérieurs
?
LA DISCIPLINE MORALE
Le corollaire de ce qui précède, c'est que le judaïsme a fourni à la
société moderne la plus grande partie de ses lois morales et de sa
discipline morale. Ce que l'Occident peut avoir accompli dans le domaine
de la justice sociale et du progrès social provient pour beaucoup de la
conception juive de Dieu. Il existe des juifs matérialistes et réactionnaires,
mais aucun d'eux' n'a encore osé justifier son attitude par les
enseignements des prophètes et des rabbins. Et voici les paroles qui
constituent le cœur du judaïsme :

« Tu ne voleras pas, tu ne tromperas pas, tu ne mentiras pas, tu ne
jureras pas faussement, tu ne tromperas pas ton prochain, ni ne le dépouilleras,
tu ne garderas pas, sans )e payer, un salarié, tu ne te rendras pas
coupable d'injustice, tu ne seras pas partial envers le pauvre ni soumis
au puissant. Tu ne calomnieras pas, tu ne cultiveras pas de haine contre
un compatriote, tu ne te vengeras pas, tu ne garderas pas rancune à tes
concitoyens, mais tu aimera ton prochain comme toi-même»

Cette citation pourrait fort bien être le credo d'un libéral de notre
temps. Elle est extraite du dix-neuvième chapitre du Lévitique. Et si
l'on ajouté que ce qui donne à ces mots leur force et .leur autorité,
c'est la déclaration que a l'Eternel a donné ces ordres pour toute la
communauté d'Israël s et qu'elle est encore accentuée par
l'emphatique conclusion : « Je suis l'Eternel », il devient manifeste
que la discipline morale du judaïsme a profondément imprégné ce qui
dans la société moderne est moralement sain et conscient.
LE DECALOGUE, CHARTE DE LA DIGNITE HUMAINE
Relisons le Décalogue, avec ses prescriptions contre l'homicide, le
vol. l'adultère, le faux témoignage et la convoitise, sa façon
d'insister sur l'honneur et la dignité au foyer, son adjuration
solennelle de ne pas troquer les idéals les plus élevés contre des
imitations à bon marché, ou même coûteuses. N'est-ce pas là la
signification moderne du : « Tu n'auras pas
d'autre Dieu devant moi, tu ne te feras point d'idole ni une image
quelconque de ce qui est en haut dans le ciel ou en bas sur la terre, ou
dans les eaux au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras point devant
elles ; tu ne les adoreras point, a Pensons au premier commandement, qui
sanctionne divinement la liberté et condamne divinement l'esclavage ;
souvenons-nous que le Décalogue. cette Grande Charte de la dignité
morale et de la souveraineté éthique de l'homme, a pénétré profondément
notre pensée morale et nos aspirations sociales, et nous nous rendrons
compte alors combien grande est la dette de la société moderne envers le judaïsme.

QU'EST-CE QUE L'HOMME ?
Dans l'un des plus beaux psaumes (7), le poète, contemplant la vaste étendue
d'un ciel étoile d'Orient, chante :
"Lorsque je regardetes cieux, l'oeuvre de ta main.
« La
lune et les étoiles que tu as formées...
« Qu'est donc l'homme, que
tu penses à lui ?
« Le fils d'Adam, que tu le protèges"? »
II considère l'homme par rapport à l'univers et comprend que l'être
humain n'est qu'une partie infinitésimale du tout, un grain de poussière
dan? la gloire majestueuse de la nature. Et pourtant, cette pensée ne
l'obsède pas au point qu'il se diminue ou s'abaisse. Versé dans le
judaïsme, il connaît la réponse à la question qu'il a posée : «
Qu'est-ce que l'homme ? »
« Tu l'as fait juste un peu au-dessous des anges,
« Et tu l'as couronné
de gloire et d'honneur.»
L'homme n'est donc pas tout juste une chose terrestre, il a été créé
à la ressemblance spirituelle du Créateur lui-même. Et les rabbins
ajoutent que Dieu
prit, pour l'insuffler à l'homme, une partie de sa propre essence
spirituelle. Ainsi donc, l'homme est en partie matériel, en partie
divin. Il faut noter que les rabbins ont parlé de l'homme, et non pas
du juif, ou du chrétien, ou du mahométan, ou du bouddhiste, non plus
que du noir, du rouge, du jaune ou du blanc ni du nordique, de l'aryen,
du nègre ou du sémite. Le judaïsme pense à l'homme et parle de
l'homme. Et les Sages d'Israël expliquent que le Créateur a
voulu que toute l'humanité descendît d'un seul homme, afin que nul ne
pût se réclamer d'une ascendance supérieure.

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