11 - la pétainie

Ginette

Quelle douleur d'évoquer la pauvre petite Ginette ! Elle choisit de naître en pleine pagaille, Toulouse grouillant de réfugiés, le 17 Août 1940. A la Grave, à San Subra, (Saint-Cyprien), de l'autre côté du Pont-Neuf, là où se trouve l'une

 des rares coupoles toulousaines.

 

Ça commençait mal, dans l'hébétude et l'affolement, les salles débordaient de mères et de nourrissons. Papa, regardant la brune gitanille qu'on lui présentait, s'écria: "J'ai déjà eu 4 enfants, aucun n'était comme ce pruneau d'Agen ridé, il n'est pas à moi !" Chose rare, sa réclamation fut admise, on s'excusa et lui présenta un second échantillon, aussitôt rejeté. Il suggéra qu'on vérifiât les poids, puisqu'on pesait dès la naissance. On arracha la pauvre "légitime" aux soins jaloux d'une mère noiraude, ravie d'avoir pondu un petit ange blond.

Peut-être aurait-ce mieux valu pour elle. Qu'elle était mignonne, lorsqu'elle jouait avec son chaton, affirmant: "T'appelle Ninette, suis demoiselle !" ou ordonnait à son frère: "Manze, Zacques !" Les héros de la "vraie France de la Race des Saigneurs" qui réussirent à arrêter, torturer et assassiner ce bébé de moins de 4 ans furent-ils décorés de la Croix de Merde, avec Langes d'argent et Barboteuse d'or, beaux exemples de la supériorité aryenne sur les hordes de mouflets judéo-bolcheviques ? Ou prime de risque et retraite dorée ?

Car, en 42, les théories racistes florissaient. Trucs infaillibles pour reconnaître la race maudite. Hélas, maman avait une tête blonde que bien des bochesses auraient enviée. Le nez en pois chiche de papa en faisait un Rousski typique, avec une nuance asiatique. André, grand et blond aurait pu être Viking, comme Jacques et Ginette. Moi seul, n'ai trouvé qu'un Maya pour me ressembler. Nul ne nous prit (à ma connaissance) pour Juifs. Pour m'inscrire au cours de yiddish, en 1985, il me fallut chanter notre hymne national afun pripetshok pour être cru..

parties pour pitchkepoi... assassinées par les fonctionnaires nazis

Il y eut, c'est prouvé, des Gaulois juifs (vers Cognac, en Auvergne et sur les côtes), longtemps avant les chrétiens. A Périgueux, la rue Mosaïque sépare la cité gallo-romaine de la Vesonna gauloise. A Bordeaux, le village biturige originel Burdigala se trouve sur le Mont Judaïque. Si vous allez à Lyon, la rue Judaïque indique l'emplacement, sur la Saône, du port gaulois qui engendra, longtemps avant l'arrivée de César, la ville du dieu Lug. Pour connaître le français de l'an Mil, il faut étudier Rashi de Troyes, dont les commentaires sont toujours utilisés par les Juifs du monde entier: ses gloses utilisent 3000 mots français avec, chose importante, leur prononciation transcrite phonétiquement. Des rabbins occitans et champenois traduisirent d'arabe en hébreu et latin des traités de médecine, mathématiques, astronomie, philosophie grecque et arabe. Qui le sait ? Certains auteurs se demandent si on aurait su bâtir les Cathédrales et si la Renaissance aurait pu avoir lieu sans leur travail. L'une des causes de la "croisade des Albigeois" était la tolérance des Occitans envers les Josieus, (Juifs) l'autre, le vol, car grâce en grande partie à cette tolérance, Toulouse était la plus riche et cultivée d'Europe chrétienne.

Nous, les Litvaks, Lithuaniens juifs, qui fûmes longtemps considérés par les autres Juifs comme l'élite, pour l'érudition et l'intelligence, les Polaks nous accusaient de descendre de Cosaques, Vikings, Anglais ou Allemands. C'est vrai, ma grand'mère s'appelait Blakman, qui ne se traduit que de l'anglais, et mon patronyme, c'est Hambourg prononcé à la Russe. Mais pour les rabbins, est Juif celui dont la mère est Juive. Que le père descende de David ou d'un Cosaque ivre de vodka, peu importe. Comme disait un copain, "Comment être raciste avec dans nos veines toute la Société des Nations ? Si ça se trouve, on a même peut-être du sang juif"*... Après tout, des tas de "bons Français": Maurin, Langlois, Sauget (saxon), Lallement, Alain, Poulain (polonais), Cathala, Lespagnol, Lombart pourraient faire douter de la pureté de leur lignée. 

On prétend même que Jésus, Marie et les apôtres, nés Juifs, moururent Juifs, sans avoir mis le pied en église ni fait le signe de croix ! 

Jésus, membre d'une des 24 ou 25 sectes juives anti-romaines de l'époque fut livré aux Romains (Jn 11,48) par crainte qu'il provoque un soulèvement noyé dans le sang: La révolte de 66 causa des millions de morts. Ayant dû envoyer 90 000 soldats, Rome cessa dès lors de recruter en Italie.

*regarde la tête de l'os gravé de Meggido des centaines d'années avant JC et tu verra que oui !

Hitler (dont le nom ne veut rien dire en boche, mais "casquetier" en alsacien et yiddish) disait craindre les Juifs. Peut-être qu'au début, il les "utilisa" pour plaire aux cons racistes boches qui l'écoutaient. Un chef de gang force le débutant à commettre un crime, il se sent ensuite obligé de continuer. Lui aurait continué par trouille d'une vengeance bien méritée.

Je n'y crois guère.

Foin de généalogies, je suis patriote occitan, breton, sarthois, parigot, marocain, castillan, corse, yiddish, même russe ou Sioux. En Israël, je ne suis jamais allé. Trop d'injustices y furent commises*.

*et pourtant tu es allé en Turquie qui ne reconnait toujours pas le génocide arméniens, en Bulgarie sous terreur soviétique. Se vouloir trops parfait n'est pas un immense orgueil ? (lire 1er page du site)

Le véritable Israël est dans le Talmud, la Mishna, la Guemara, Rashi, pas en cette terre arrosée de tant de sangs impurs. Les prophètes, vrais ou faux: Moïse, Jésus, Mahomet, Marx, Freud, Lénine, Hitler, ont, consciemment ou non, provoqué des désastres. Et quelques progrès.

Comment s'abriter des sauvages ? Il le faut. Mais à quoi sert un bunker contre fusées et bombes nucléaires ? La seule protection: gentillesse et morale de tous. Lorsque je vois des abrutis de tous âges, sexes ou origines gueuler, cracher, jeter leurs déchets n'importe où, ou pire encore, tagger, voler, détériorer, se droguer, se saouler…. je leur demande: "Il te paie combien, Le Pen, pour lui attirer des suffrages ?" Ce sont ses meilleurs recruteurs, mais s'ils sont ainsi, n'y sommes-nous pour rien ? Aucun défilé, aucun slogan n'y changera rien. (note 2000: à présent, c'est pire: Le Pen semble moins redoutable)

Revenons au temps des rutabagas. Tout n'était que ruines et pleurs, croyez-vous ? Que nenni ! Certes, bals et dancings étaient interdits par les cafards qui gouvernaient. Mais qui empêchera gigoteur de gigoter ? Ce besoin, on l'assouvissait en sourdine. Pas moi, car très maladroit, je danse comme un ours et n'y trouve aucun plaisir: aucun sens du rythme. Les cinémas étaient pleins, les pelotages fréquents: bien des femmes avaient leur mec derrière les barbelés, les unes amélioraient ainsi leur ordinaire, d'autres cherchaient à oublier le présent glacial et calamiteux. André et moi, à part le ciné, c'était la lecture. A l'Inkett, on achetait un livre à un stand, le revendait à un autre. Le bénéf allait à la solidarité pour clandestins et emprisonnés. Pas lerche. André lisait des romans policiers en anglais. J'ai parlé de ses livres de lycée qui s'arrêtaient à Shakespeare...Citizens, Romans, countrymen (Citoyens, Romains, compatriotes, in Julius Caesar). Dépourvus de dictionnaire, on commettait souvent de graves contre-sens. Pour apprendre à lire une langue étrangère, c'est simple: beaucoup de grammaire au début, romans policiers ensuite: Pour connaître la clé du mystère, on fait un effort, et la langue est plus simple. Mais pour parler, là, rien ne vaut un "dictionnaire à cheveux longs" comme dira plus tard André. Comme la denrée manquait, nous fûmes as en lecture, nuls en conversation. J'ai fait des exposés à des auditoires british qui me comprenaient, sans comprendre leurs questions, sauf s'ils parlaient lentement, très.

L'été 41, en dehors du service rural, l'école nous permit des vacances en montagne, comme nul n'en connaîtra: nous étions presque seuls touristes au refuge d'Espingo, au dessus de Luchon, à 2000 mètres.

Je ne me souviens que de quelques noms d'alors: Les profs: Andrieux, dessin, Bélondrade et Chagnolleau : atelier. C'est Bélondrade qui, à la question Race ? inscrivit: humaine. Barron: français, Sartori, prof de gym, qui se suicida en 44, seul maréchaliste convaincu. Les élèves, j'en ai déjà parlé.

On crevait de faim. Sorties de plus de 14 heures à escalader des pics de plus de 3000 m, Queyrat, Lezat, Crabioules, Gourgs Blancs. Menu: une maigre rondelle de pain, un morceau de sucre et une sardine à l'huile ! Par chance, Auriol, nous montra les myrtilles, les cèpes, énormes et les racines de réglisse, qu'on mâchait. Qu'on était légers ! C'est en ce désert de rocs et de neiges qu'il m'apprit l'hymne cathare, transmis de bouche à oreille depuis le "bon" Saint-Louis le massacreur-voleur jusqu'à nous:

Quant lo boier ven de laurar, > Planta son agulhada,

Troba sa femna al ped del fuoc, Tota desconsolada.

Transcrit en "prononciation gavache", ça donne: Quantt lou bouyié ben de laoura, Planto soun agouillado, Troubo sa fenno al pé del fioc, touto descounsoulado.

Je pense que tout le monde aura traduit: Quand le bouvier vient du labour, il plante son aiguillon, trouve sa femme au pied du feu, toute "déconsolée". Le "consolament", le principal sacrement cathare. Le reste de la chanson contient des allusions à des héros "faidits" de l'époque, ces chevaliers détroussés par les Croisés: Rabastens, Caoulet, Lauzet, Magrin, que même un curé borné pouvait comprendre. Malgré l'Inquisition et les siècles, les Occitans n'ont pas oublié les résistants de cette époque: A Toulouse, la rue où siégeait l'Inquisition, fondée là pour combattre les Cathares, c'est la rue Pharaon, lisez: Ramón d'Alfaro, autre "faidit" qui exécuta deux inquisiteurs papaux. C'est dans cette rue qu'habitait mon ami René Vaysse, que son nom et ses lunettes faisaient prendre pour un Juif Weiss. Et dont la famille nous cacha, les soirs de rafles annoncées.

Sous Espingo, il y avait des ours timides. Plus haut, aigles et isards.

Si vous visitez le Val d'Esquierry, "le jardin des Pyrénées", montagne à vaches, c'est là que j'ai laissé ma peau, au sens littéral. On progressait dans une "cheminée" des plus anodines, pour retraités. A 25, moi en dernier. Sous nous, 500 mètres plus bas, gros comme fourmis: des moutons broutant. Vaysse, comme les précédents, s'était accroché à un genièvre pour progresser. Fatigué, il se déracina. René aussi, s'affalant sur moi. Nous glissons sur le ventre, ski d'été involontaire sur pente très raide. Des pierres nous arrachent des lambeaux de tissu, puis de peau. Une seule pensée: Observe bien, si tu dois revoir ta vie défiler, c'est un spectacle à ne pas rater ! Ça a raté. Un caillou plus saillant que les autres nous stoppa 20 mètres plus bas, le chandail remonté jusqu'aux épaules, le pantalon jusqu'aux cuisses. Un peu écorchés, mais les lunettes de René intactes, on clopina vers le refuge. Personne, guide amateur compris, ne s'aperçut de rien. Au refuge, sur les bat-flancs, on dormait à côté d'inconnus, parfois d'inconnues. Les filles, qui n'abondaient guère, causaient grand émoi parmi nous, les puceaux. Un soir, tard, arrive une fillette, douze ans, tête de Sioux, bec d'aigle et visage étroit. Suivie une heure après d'un long échalas plus Sioux encore. Notre idole, l'homme des cavernes, Norbert Casteret ! Nous bégayâmes en lui mendiant un autographe. Ils repartirent à l'aube.

 

A l'école, poèmes et préhistoire firent ma réputation.. En effet, le front bas et oblique, un minuscule troisième sein, une gynomastie et mes arcades sourcilières saillantes sont néandertaliens. M'a-t'on dit. J'en suis très fier. Pas tout le monde qui peut voir ses ancêtres en grimaçant devant la glace. Donc, à ce titre, j'allais souvent dans les tranchées-abris creusées en 39 aux allées Saint-Michel. (Loin de toute habitation, elles étaient prévues pour les facs riveraines) Et y trouvai un bout d'os visiblement fort ancien. Mais tout nu. Traîtreusement, avec une épingle je gravai, maladroitement, pirogue et poissons. Pour tester la compétence de nos savants, je frappe à la fac, où l'on me dirige vers le professeur Vallois, non sans rencontrer d'étranges militaires en uniforme inconnu que je dérangeais visiblement. Anglais, Hollandais ou Polonais ? Ils devaient se cacher là depuis Mai 40. Le prof identifia un fragment de fémur de cervidé, mais la gravure lui parut fort suspecte. "Sans doute le seul os gravé d'un bateau connu à ce jour. Montrez donc ça au professeur Begouën" Nous voilà, Auriol, Vaysse et moi dans le bel hôtel de l'illustre savant. Le comte, fort grand et fort vieux, nous prouva en un instant, retournant l'esquille, qu'il s'agissait non d'une barque mais d'un bovidé très maladroit, ou plutôt d'un mammouth à la silhouette caractéristique. Pour me remercier, il me proposa un opuscule (je l'ai toujours) Mélanges de préhistoire et d'anthropologie dédicacé d'une main tremblante, mais sûre: il attendait d'être au bon endroit pour continuer son trait. Après quoi, je ne pouvais plus qu'offrir mon os à la science. Qu'elle me pardonne.

J'y gagnai d'être interpellé pour chaque bout d'os rencontré au stade ou en promenade. (En 1985, à Phaselis en lonie, je trouvai un fragment de poterie aux bizarres cannelures qui me permit de visiter le musée d'art antique d'Istanbul. Mais là, c'était du vrai; je n'ai jamais vu les mêmes cannelures nulle part ailleurs. Seule contribution concrète à l'archéologie) Les allées Saint-Michel ont perdu leurs tranchées et sont embouteillées en permanence. Là passaient les remparts de la ville cathare. Là, l'ignoble Simon de Monfort reçut la pierre lancée par une vieille femme qui avait fait une fronde de ses cheveux "La pierre vint frapper là où il fallait". Là, les Boches défilèrent lorsqu'ils envahirent la "zone libre". Et c'est là, bien plus tard, que je tentai de piger maths, physique et chimie (en vain).

43, rue Frizac, l'adresse de notre école. A Paris, je vécus 43, rue de la Rochefoucauld. Pour la revue de l'école, j'écrivis, pensant à Paris, trois quatrains, Dans la cour du 43 débutant ainsi:

Le soleil luit sur la gouttière > Les tuiles sont rouges d'orgueil

La lucarne d'en haut s'éclaire Mais les pavés noirs sont en deuil

On y découvrit des allusions à l'école, aux nazis, des trucs auxquels je n'avais jamais pensé. Mais Jaboune (Jean Nohain) cherchait des candidats pour jeux radiophoniques. Me voici propulsé sur la scène prestigieuse du Capitole, dans l'éternel costume vert de chez Alba. Jaboune nous recommanda la discrétion, pas de politique. On nous donna les rimes et 10 minutes. Et tous de gamberger.

 

 

"O Muse, emporte moi au pays des gazelles, > Où l'on ne met jamais de gants de filoselle

Pour s'asseoir comme vous sur de durs strapontins Où vous êtes hantés de rouges diablotins

O Muse, emmène moi, et ne sois pas revêche Ou je te laisse là, je prends ma canne à pêche

Pour ne m'occuper plus que du divin rumsteck Dusses-tu pour cela me traiter de blanc-bec

Ce ne fut pas un succès: un triomphe ! Ce grand trou noir, c'était la salle, où j'allais enfant écouter Roméo roucouler son amour à Juliette. De ce néant partaient bravos et applaudissements, j'en aurais pleuré de rage, j'avais honte de ces vers de mirliton. Applaudir ces âneries ! Moyennant quoi j'avais saisi le truc: avoir une "chute" aussi comique que possible et passer en dernier ou dans les derniers.

Deux autres séances me firent gagner 100 francs-pétain, versés à la solidarité. Après quoi, "on" me conseilla de renoncer: Fallait laisser leur chance aux autres. Je me retirai de scène en pleine gloire. L'école était fière d'avoir abattu l'orgueil des lycées pleins de morgue. Je vous épargne les deux derniers bouts-rimés, bien meilleurs, pour ne pas me faire traiter de m'as-tu-vu. Tant pis pour la postérité.

L'important, c'était le recrutement pour le Front National dans les mouvements qu'on noyautait. On formait donc nos troïkas très théoriques, car on se connaissait tous. Mais comme la seule trace d'activisme qu'on connût émanait de nous, apprentis, on se demandait parfois si le PC et les gaullistes toulousains ne s'étaient pas dissous dans l'air. En tous cas prudents, car je n'en vis aucun avant la Libération. Sauf la fameuse manif du Capitole et un petit tract vers fin 1940, pas méchant. Il faut dire que croix de Lorraine et slogans étaient effacés à peine écrits. Et les tracts dans les boîtes à lettre ne sont pas spectaculaires. Vous en foutez ? Voulez savoir les autres bouts-rimés ? Abaissez vos petites mains suppliantes, je crois me ressouvenir, mais après, fini.

 

Aux heureux temps jadis dont parle La Fontaine > Pour sa belle enfermée chantait sur le gazon,
La guitare à la main, un vaillant capitaine Partons, murmurait-il, quitte cette maison.
Allons, ma bien-aimée, saute sur la pelouse Nous boirons un peu d'eau à ce clair ruisselet
Puis nous chevaucherons, je t'emmène à Toulouse Notre amour s'unira autour d'un cassoulet !

Le dernier, dans un théâtre désaffecté de l'avenue Ozenne, provoqua une petite manif, les avis différaient. Mais la rue Frizac, venue en force, étouffait les justes protestations de ceux qui trouvaient que j'abusais. Je n'ai plus jamais écrit de bouts-rimés, ces rimes obligatoires ! Hasard ? Ces 3 jeux de rimes avaient un truc en commun: rumsteck, cassoulet ou mirabelles, ils traitaient de nourritures.

C'était un exalté passionné de peinture, > Mais passionné au point de vendre sa ceinture,

Pour le plaisir de peindre un animal curieux. Il s'en serait damné. Ce n'était pas sérieux.

Un jour qu'il massacrait une robe isabelle, Un goujat lui jeta un pot de mirabelles.

Alors, désespéré, il prit son couvre-chef Et se fit employé de la SNCF !

Tandis qu'on s'amusait à ces futilités, des gens mouraient dans les camps et les combats: Russie, Yougoslavie, Grèce, Pologne... Anglais et Italiens dansaient leur drôle de quadrille en Libye. Les Rouskis prenaient des piles fantastiques. Les uns criaient au mensonge, d'autres pensaient aux épurations de 37, à Toukhatshiefski. Les plus optimistes imaginaient un retrait prémédité. Lorsque Moscou fut menacé et que les Japonais infligèrent défaite sur désastre aux Anglo-américains, on broyait du noir.

Heureusement, la chaussée de Volokalamsk, aux portes de Moscou, et la confiance dans les cow-boys permirent au Comité des Sages scolaire de prédire la victoire finale. A l'instar du général-aviateur nazi Galland, nous disions qu'attaquer l'URSS avant d'avoir écrasé les Rosbifs, c'était du suicide, mais en plus s'en prendre aux Ricains, alors, là...

Hitler demande à trois Bochesses quel est le futur vainqueur, toutes répondent: Churchill ! Indigné, il les fait fusiller sur le champ, en convoque trois autres, même tabac. Avant, il leur demande: Pourquoi Churchill ? "Parce qu'il a dit: "Ce sera dur, ce sera long, mais on ira jusqu'au bout !" N'empêche, la chute de Smolensk, Kharkof, Manille et Singapour, les croiseurs et cuirassés coulés d'une seule bombe....

Pierre Goldblum nous apprit "Le chant des Marais" (die Moor Soldaten) :"Wohin auch das Auge blicket / Moors und Moors ins Kalt und Schneit / Vögel sang nicht in der Quicket, Türen stehen kalt und leer.. Wir sind die Moor Soldaten, und ziehen mit dem Spaten ins Moor" Allemand correct non garanti, souvenir garanti d'époque. Il nous apprit, en 1942, que les Boches tuaient par milliers Juifs et communistes dans d'immenses camps en Pologne. On priait pour un miracle, une arme nouvelle.

André, grand admirateur des atomes, affirmait sous les moqueries générales qu'on pourrait faire des bombes terrifiantes avec le radium. Le vainqueur serait celui qui y aurait réussi le premier. .

En attendant, à Toulouse, on faisait la queue pour voir n'importe quoi, films allemands comme Bel-Ami ou le Baron de Münchhausen, américains (avant 42) comme la vie privée d'Elizabeth ou Autant en emporte le vent. Chefs d'œuvre français, comme l'homme de Londres, l'assassin habite au 21, Berlioz.

Surtout les Visiteurs du Soir provoqua une petite guerre civile, les uns criant au navet, les autres (dont moi) au super-chef-d'œuvre. II y eut même un espagnol Carmen, la de Triana, devenu Nuits d'Andalousie affreusement mal tourné, qui fit se déplacer des foules émues. Certains collègues m'ont entendu chanter ses airs bien des fois, avec plus de conviction que de talent.

Et Pacelli, qu'est-ce qu'il foutait, ce pape de mes couilles ? Il se taisait. On racontait le prêche du Cardinal Baudrillart, aumônier de la LVF, combattants français sur le front russe. (un plaisantin ayant chié dans la chaire) : "La Révolution Nationale, mes frères, …mais… ça sent mauvais. La Révolution Nationale… mais… ça pue ! La Révolution Nationale… Mais nom de bougre de Dieu, c'est de la merde !"

La plupart des Toulousains se fichaient du Pape, du Maréchal et des "fers à repasser" de la Légion pétainiste (à cause de l'écu tricolore, leur insigne). Ils ne cherchaient que le fameux mercat nègre, le marché noir. On allait en tram chercher choux, carottes, rutabagas, mais il y avait des contrôles et des confiscations, même pour ces légumes en vente libre. On salivait d'envie quand le tram longeait ces fermes où des animaux mythiques dont on avait oublié le goût paradaient sans vergogne. "Fumiers de péquenots", "fumiers d'épiciers", entendait-on. Il nous fallait, nous les victimes du racisme, expliquer que ce racisme stupide anti-culs-terreux et anti-commerçants était imbécile et ne menait à rien.

 

Un matin, un gendarme - quelle émotion ! - nous porta au 6ème, une livre de monjetas (mounjetos, haricots blancs) mais il s'était gourré, on dût, le cœur brisé, les rapporter à l'oncle Henry. Devinez nos sentiments. L'oncle Achille, lui, parvint à nous procurer un jambon. Qu'on enveloppa de linges et cacha dans l'endroit le plus frais, la cheminée, mais qu'il fallut liquider d'urgence: les asticots avaient gagné.

Juin 42. A la Préfecture, une affichette demande des terrassiers pour l'Aveyron. Sitôt lu, sitôt inscrit. Train bondé. Nous débarquons, un "nordiste" et moi, dans une ville triste et noire, parcourue de curés noirs et de sœurs noires, Rodez. Un car à gazogène nous mène, par Rieupeyroux, (rivière pierreuse) à la Salvetat (le secours). Ce le fut vraiment. Mountagnos pyrénéos (Montanhas Pyreneas) vous êtes mes amours, certes, mais ça fait un peu chromo. Là, on respirait l'air des Chansons de Geste: alt son li pui et tenebreus li mons (Chanson de Roland: Hauts sont les Puys, et ténébreux les monts) Dans ce panorama géant de monts usés par les vents, on évoquait ptérodactyles, Moustériens, Arvernes, Cathares, Camisards..

Mais les terrassiers, quelle équipe ! Un mataf, un Alsacien, un Hongrois, un "artiste" un peu tapette et un tantinet Polak, des rescapés de la ligne Maginot, qui avaient tenu jusqu'en Juillet 40 à l'insu de tous, un évadé de stalag. Bref, tout ce qu'il fallait pour un maquis, mais sans maquis. On passait plus de temps à faire la pause et discuter qu'à se faire des ampoules aux mains. Le chemin n'avançait qu'à galop d'escagarol (escargot) mais on y discutait pire que dans un kibboutz, sauf que j'étais seul fils d'Abraham. Mais bien vu des populations rouergates qui m'avaient entendu chanter Se sós malauta digas oc, te faurai un potage, a, e , i, o, u, l'hymne cathare, le chant du bouvier dont je vous gratifie d'un vers supplémentaire fort curieux, car les cathares étaient végétariens, et le bouvier donne l'étrange recette: amb una rába, amb un caulet, una lauseta mágra (avec une rave, un chou, une alouette maigre). En réalité le nom de 4 chevaliers-maquisards: Rabastens, Caulet, Lauzet et Magrin. (lu dans un livre de Bernard de Sède, auteur mal vu des mandarins.)

Et dans ces montagnes, on les imaginait sans peine, ces chevaliers en haillons, tendant des embuscades aux brigands pillards de "Saint"-Louis le voleur-assassin. Quand je pense que les gendarmes qui m'ont verbalisé dans le car de Rieupeyroux parce que je n'avais pas fait viser mes papiers d'étranger, appliquaient une loi de la République (Je crois qu'elle existe encore), contre les malheureux Gitans !

Au village errait une espèce de vieille femme en robe grise, très longue. Eh, boudi, (bon Dieu) qu'es lo curat, le curé. Il semblait famélique et peu apprécié de ses ouailles replètes. J'eus avec lui de longues conversations. Croyant l'embarrasser, je demande si, au ciel, perdant nos défauts et donc une part de notre personnalité, on pouvait dire qu'on était encore nous-mêmes. Il me montra la forêt. "De jour, tu la traverses sans même y penser, le ferais-tu de nuit et sans lumière ? Non, bien sûr. Pourtant la forêt n'a pas changé, mais un tout petit rayon, sur nos âmes enténébrées, aura le même effet que sur la forêt. Ce que tu as vécu t'apparaîtra sous un jour nouveau."

La Salvetat, pour nous, non-fumeurs, c'était surtout du beau pain blanc en échange de nos gauloises, ou qu'on payait 5 F le kg, au marché noir ! Alors qu'à Toulouse, on avait peine à en trouver, plein de son et de sciure, à 25 F. Sans parler de cochonailles et jambons.

Lorsqu'au bout d'un mois, il fallut rentrer, mon sac marin contenait 8 kg de vrai bon pain, (plus d'un mois de rations légales) et par-dessus, mon minable bleu de travail tout usé.

Arrivée à Toulouse le soir. Gare Matabiau, un flic en civil tâte le dessus de mon sac.

- Qu'avez-vous là-dedans ?

- Du linge sale, je viens de travailler sur un chantier" Il re-tâte le haut du sac.

- C'est bon, passez.

Je parcours, soulagé, les rues silencieuses et obscures du black-out, ruminant de profondes réflexions sur ce destin qui m'avait déjà conduit des bancs de l'école à l'étau du métallo, la pioche du terrassier et la hotte du vendangeur.. Reste plus que la prêtrise et l'armée pour compléter ma formation, qu'on ne disait pas encore pluridisciplinaire...

Zut, je n'ai pas le passe qui ouvre notre porte. Et, juste aux pieds (?) des sirènes de la fontaine de la place, un flic. Que faire ? Si je poirote devant ma porte avec mon sac, il va demander mes papiers, je suis cuit. Je lui demande l'heure. Puis explique ma situation. On bavarde et les heures passent. J'arrive même à savoir qu'il garde un central téléphonique secret pour les communications entre la Préfecture et Vichy. Juste chez l'épicier italien qui nous vendit sa dernière boîte de sauce tomate. (Pierre Goldblum me félicita et transmit à ses chefs)

A minuit, le concierge rentra d'une de ses orgies secrètes; je pus rejoindre notre logis. Je fus bien accueilli, mon sac plus encore. Il était vide le surlendemain.

 

 

préparatifs d'évasion

Deux mois après, débarquement US à Alger et Casa, les Boches occupent la Pétainie, défilant deux heures durant dans "mes" allées St-Michel. La flotte de Toulon se saborde.

L'oncle Henry était "occupé" par un "administrateur-provisoire pétainiste" et voleur. Heureusement, Grépiac était au nom de sa catholique épouse, empli de fourrures planquées. L'ad-pro était fort borné, mais cupide. Papa le prit la main dans le sac, l'humilia devant le personnel qui s'ingénia de mille façons à lui promettre la potence s'il récidivait. La vieille caissière-secrétaire-comptable, Mlle Etcheverry (maison blanche en basque) veilla comme un dragon sur le Tigre Royal.

L'argent est parfois très utile. Pour passer en Espagne, les résistants passaient gratis, pas les autres, car si les passeurs risquaient bénévolement leur peau pour rien, ils devaient acheter douaniers, carabiniers et gardes civils, sans parler des indispensables pesetas, ni des gendarmes français, payés en cigarettes espagnoles. J'ai connu depuis des gens qui avaient passé seuls, mais peu, car la surveillance était très serrée. (Aucun passeur, après la guerre, n'eut de remerciements de ceux qu'ils sauvèrent, croit-on) L'oncle Henry nous procura vraies pesetas, argent et filières. On sortit les chaussures de ski, les sacs tyroliens des balades de jadis. L'oncle partit le premier et nous envoya une carte postale avec message codé pour que nous l'imitions.

Pierre Goldblum ne voulait pas nous laisser partir, nous proposant un statut de clandestins. Papa retroussa son pantalon, montra la cicatrice gagnée dans l'Armée Rouge, expliqua (sans doute) que nous étions trop bêtes et mettrions tous les autres en danger.

Pierre aurait mieux fait de nous accompagner. Il fut, chef de maquis, fusillé à Grenoble, m'a dit sa mère. Mon frère indiquait un autre endroit.

 

Rien à Toulouse ne rappelle sa mémoire..

En notre absence, il semble que malgré l'ONIA (devenu AZF), la Poudrerie, les usines Dewoitine de Francazal, Colomiers, Blagnac, objectifs évidents et majeurs, Toulouse ne fut pas très bombardée. Grâce au gaz de St-Marcet, on put au moins faire bouillir les marmites, même vides, car la faim fut grande.

Ginette maman jacques sur le pont du palais, Toulouse

De maman et Ginette, nous reçûmes deux lettres en Espagne. A mon retour, Mme Cazelles, notre gentille voisine du 1er me dit que le 11 novembre 1943, avec Ginette dans la poussette, malgré boches et flics autour du monument aux morts, maman avait fendu la foule puis le cordon de boches et déposé une grosse gerbe de fleurs sur la tombe du soldat inconnu toulousain. Vérité ou légende ? Déportées en avril 44, j'ai appris le 22 novembre 2005 qu'aucune archive officielle française, juive ou israélienne n'a conservé leur souvenir. Plût au ciel que je ne soie pas moi-même un fantôme inconnu, sauf des services fiscaux, bien sûr.

 

fin de "11 - la pétainie"