LE SIONISME: UN VIEUX RÊVE ENFIN INCARNÉ
« A Vienne, d'où il venait, un Israélite conscient des pressions qu monde moderne refit le vieux rêve d'un État juif - un État moderne, l'incarnation de tous les grands principes acquis par le travail des siècles. .. » Israël Zangwill, les Rêveurs du Ghetto, 1898
Si on considère les Israéliens d'aujourd'hui - fiers,
dogmatiques, intraitables - on a du mal à imaginer que les
premiers architectes de l'État juif aient pu être si
réticents dans leur entreprise. Le sionisme, idéologie fragmentaire et toujours controversée de la nation juive,
s'élabora lentement et presque toujours sous la contrainte des
événements.
La nostalgie des Juifs pour la terre de Sion avait survécu
à des millénaires de tourmente, mais, au XIXE siècle, elle commençait à s'estomper. Après
des siècles de persécutions paralysantes, la
Révolution française avait enfin apporté un peu de
liberté et d'égalité, influençant
progressivement l'Italie, puis l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et la
Scandinavie. Les Juifs sortirent de leurs ghettos centenaires et
se retrouvèrent dans un monde particulièrement
sensibilisé aux différences ethniques. Le
nationalisme romantique était à son apogée. Chaque
peuple était fasciné par son propre héritage
culturel. La réaction des Juifs, face à leurs nouvelles
libertés, ne fut pas un retour aux sources. Leur impulsion
collective fut plutôt de se plonger avec bonheur dans les
diverses cultures qui les avaient exclus si longtemps. On assista alors
à de plus en plus de baptêmes et de mariages mixtes.
Mais en Europe de l'Est, les choses n' évoluèrent
guère. Les quatre millions de Juifs de Russie vivaient aux
confins occidentaux du pays et dans les territoires polonais sous
domination russe. Bannis de la plupart des grandes villes et de
nombreuses zones rurales, ils s'entassaient dans des villes où
leur misère noire et leur nombre disproportionné
suscitaient l'hostilité de la population non juive.
La situation désespérée de ces
communautés d'Europe de l'Est encouragera des idées
tout aussi désespérées. Beaucoup de Juifs
profondément religieux prêchaient l'attente de la venue de
ce Messie attendu depuis si longtemps déjà. Ils
lancèrent leurs imprécations contre ceux qui
songeaient à reconquérir Sion, contrariant dangereusement
la volonté divine. D'autres s'engagèrent dans des
mouvements révolutionnaires russes.
Théodore Herzl
L'épreuve
L'année 1881 ébranla la conscience de nombreux
Juifs. Le tsar Alexandre II, qui avait émancipé les
paysans russes et modéré les lois antijuives, fut
assassiné par un révolutionnaire. L'agitation gagna
tout le pays. Le gouvernement autant que les révolutionnaires
encouragèrent les émeutes antijuives et les pogroms pour
se gagner la faveur populaire. Trahis des deux côtés, les
Juifs s'enfuirent par dizaines de milliers vers les villes
frontières, d'où ils tentèrent de gagner l'Europe
centrale et occidentale ou les États-Unis.
Les pogroms eurent un effet capital sur les intellectuels juifs.
Beaucoup se regroupèrent autour de Peretz Smolenskin, un
journaliste d'origine russe, vivant à Vienne, et qui
s'ins¬pirait des autres mouvements nationalistes pour
réclamer la création d'un Etat juif séculier,
en Palestine, l'ancien pays de Sion, alors sous le contrôle des
Turcs. En 1890, le socialiste Nathan Birnbaum forgea le terme de
« sionisme» pour mobiliser les actions politiques en
vue d'un tel projet. I?es associations se formèrent en Russie et
aux États-Unis, sous le nom de Hoveve Zion (les amants de Sion). Des
groupes affiliés se constituèrent à l'
étranger et de petites colonies commencèrent
à s'installer en Palestine. Léon Pinsker, un
médecin qui prônait jusqu'alors l'assimilation, publia, en
1882, un tract intitulé l'Auto-émancipation qui appelait les Juifs à collecter des fonds
pour financer l'achat d'une patrie sûre - en Palestine ou
ailleurs.
Même dans le sillage des pogroms, seul un individu exceptionnel
pouvait réunir les factions disparates et souvent
opposées des Juifs du XIXE siècle, pour fonder une
organisation internationale. Théodore Herzl, né à Budapest
en 1860, paraissait un candidat bien peu plausible. Herzl avait
étudié le droit à Vienne et avait
été admis au barreau de cette ville, mais il avait
préféré s'embarquer dans une carrière de
journaliste et d'auteur dramatique. Bien que troublé par la
montée du mouvement antisémite à Vienne, dans
les années 1880, et par les pogroms russes, il ne prit conscience du problème qu'après son séjour à Paris, en
1891, où il était correspondant de la NeueFreie Presse: l'affaire Dreyfus le bouleversa.
Le souci primordial de Herzl ne fut pas de préserver la culture ou la foi juives, mais les Juifs eux-mêmes. Il n'était pas religieux. En fait, il avait initialement envisagé un baptême en masse à la cathédrale Saint-Stéphane de Vienne, pour résoudre une bonne fois pour toutes les problèmes des Juifs d'Europe. Il fut néanmoins très vite convaincu que l'antisémitisme n'était pas fondé sur des problèmes d'ordre religieux, ni même racial, mais sur des réactions totalement irrationnelles. De son propre chef, il commença à rencontrer les philanthropes et les penseurs juifs, dans l'intention de créer un lobby pour soutenir financièrement la recherche d'une terre d'accueil pour le peuple juif. En 1896, devant le peu d'intérêt que l'Occident: manifestait pour cette cause, il publia L'Etat juif, une sorte de guide pour l'indépendance nationale, se rapprochant de celui de Pinsker.
Il comprit bientôt que les leaders internationaux ne
l'écouteraient pas tant qu'il n'aurait pas de l'argent et des
gens derrière lui. Avec l'aide d'un petit cercle de proches,
Herzl réunit en 1897 le premier Congrès sioniste mondial
avec deux cents délégués, à Bâle, en
Suisse. Il parvint à mobiliser un trust juif
et la création d'un organe de presse sioniste officiel, en
plusieurs langues. Le Congrès, qui devint le corps suprême
du mouvement sioniste, servit à rallier les Juifs de toutes
origines et de toutes croyances, à promouvoir les objectifs
sionistes et à accréditer Herzl comme leader du
mouvement. Avec un enthousiasme caractéristique, il
écrivait dans un journal à Bâle: « C'est ici
que j'ai créé l'Etat juif. »
Herzl employa ses dernières années à mettre en
œuvre ce que l'on appellerait aujourd'hui une diplomatie
itinérante. Dans le but de faire pression sur l'Empire ottoman
pour qu'il cède une portion de la Palestine aux colons juifs, il
rencontra l'empereur de Prusse, Guillaume II, le tsar de Russie, le roi d'Italie et le pape, les
ministres britanniques, le gouvernement turc et même,
à trois reprises, le vieux sultan en personne. En fait, ces
négociations furent une série de coups de bluff
audacieux. Son grand espoir était de convaincre les chefs
politiques que la présence des Juifs dans chacun de leur pays
serait une perpétuelle source de troubles sociaux, tant qu'ils
n'auraient pas leur propre nation. Quand il réalisa que les
Turcs n'étaient guère pressés de conclure un
marché, il demanda aux Britanniques de l'aider à obtenir
Chypre, la péninsule du Sinaï ou la Palestine
égyptienne.
Après un nouveau refus, il s'intéressa, en 1903, à
une proposition des Britanniques qui suggéraient l'installation
des Juifs dans l'actuel Ouganda. Il soumit ce projet au VIe
Congrès sioniste mondial, soulevant de violentes
protestations. Mais il remporta un vote qui autorisait une commission
à examiner le site proposé. Ce fut sa dernière
prestation devant le Congrès. Il mourut en juillet 1904.
Délégués du Congrès sioniste à Bâle
Les dissensions fatidiques
Les divergences politiques faillirent réduire en lambeaux le
mouvement sioniste après sa mort. Des organisations sionistes
s'étaient créées dans le monde entier, et le
troupeau toujours grandissant des délégués
s'était enrichi de fanatiques religieux, de socialistes, de
nationalistes, et des combinaisons invraisemblables existaient
même entre ces trois tendances. Le projet ougandais fut
rejeté par le Congrès en 1905. Un groupe de
délégués, sous la houlette d'Israël
Zangwill, écrivain anglais et l'un des premiers partisans
de Herzl, quitta la réunion en signe de protestation et
forma un groupe dissident. Parmi ceux qui restaient, certains
s'alignèrent sur Asher Ginzberg (Ahad Ha' am), un intellectuel
russe qui soutenait que les Juifs n'avaient pas besoin d'une nation,
mais seulement d'une petite communauté religieuse en Palestine,
dont le rôle serait de raviver la foi juive. Chaim Weizmann, qui
devait devenir par la suite le premier président de l'Etat
d'Israël, affirmait quant à lui que les efforts
diplomatiques ou « politiques» de Herzl avaient
été un échec. Il suggérait d'utiliser les
fonds rassemblés par le mouvement sioniste, pour financer
une installation progressive en Palestine, idée qui fit son
chemin après 1911.
La Première Guerre mondiale accomplit en faveur des sionistes ce que la diplomatie n'avait pas réussi. La conflagration, qui aurait pu être un facteur de division, dans la mesure où elle avait amené des Juifs de toutes les nations à se battre les uns contre les autres, tourna au contraire à leur avantage avec l'apparition d'un nouveau leader qui, comme Herzl, ignora purement et simplement les querelles des Juifs installés de par le monde. En se nommant lui-même négociateur en chef du mouvement sioniste à Londres, au tout début de la guerre, Chaim Weizmann conduit avec fermeté sa mission auprès des Alliés. Le point décisif fut la déclaration Balfour, approuvée par le Cabinet britannique le 2 novembre 1917, qui avalisait la création d'un État natio¬nal juif en Palestine. Le gouvernement britan¬nique s'engageait à soutenir ce projet, tant qu'il ne porterait pas atteinte aux droits civils et religieux des populations non juives de Palestine et des Juifs d'autres nations. Avec la chute des puissances centrales en 1918, le contrôle de la Palestine tomba entre les mains des Britanniques et la Terre promise sembla beaucoup moins hypothétique. En vérité, le pire restait encore à venir.
En 1919, tandis que les conditions de la paix s'élaboraient
à Paris, des pogroms d'une horreur sans précédent
eurent lieu dans la zone frontière entre la Pologne et la
Russie. Près de cent mille Juifs furent tués par les
armées contre-révolutionnaires ukrainienne et russe. Pour
les délégations juives à Paris, la priorité
absolue devint alors la déclaration de droits nationaux
universels pour les minorités juives. Des émeutes eurent
lieu en Palestine; les Arabes s'insurgeaient contre l'implanta¬tion
juive. En dépit de la déclaration Balfour, le
gouvernement britannique était, au mieux, indifférent
à la cause sioniste.
Devant le Congrès, Weizmann subit des pressions de plus en plus
fortes de la part de Vladimir Jabotinsky, écrivain au charisme
indéniable et orateur de talent, originaire de Russie. Si
Weizmann pesait ses mots avec soin quand il parlait de patrie juive,
soucieux de ne pas provoquer l'hostilité des Arabes de
Palestine, Jabotinsky et son mouvement
« révisionniste» exigeaient un État indépendant avec une population juive majoritaire et une armée pour le
défendre. Weizmann fut vaincu lors du XVIIe Congrès en
1930. Mais ce même Congrès refusa de s' engager dans une
résolution ferme en faveur d'un Etat juif et d'élire Jabotinsky président.
Les querelles se poursuivirent, malgré une résurgence de
l'antisémitisme en Europe occi¬dentale. Les dissensions du
mouvement sio¬niste ne facilitèrent pas les
négociations avec les Britanniques et les Arabes et
entravèrent tout progrès sous la présidence de
Nahum
Sokolov, qui avait remplacé Weizmann. Ces tensions ne firent
qu'encourager la tragique apathie des Juifs européens, lorsque
le XXle Congrès se réunit à Genève en 1939,
à la veille de la Seconde Guerre mondiale. A la fin de la
guerre, lorsque l'ampleur et la folie du génocide nazi furent
révélées au monde, le peuple juif et le mouvement
sioniste comprirent qu 'il leur faudrait dorénavant se
battre pour leur propre cause.
LA TERRE PROMISE
Des Juifs profondément religieux vivaient en fait sur la Terre
sainte depuis le Moyen Age, dans des ghettos similaires à
ceux de l'Europe du XIXe siècle. Bien qu'ils aient
survécu grâce aux contributions de la communauté
juive européenne, ils éprouvaient peu de sympathie pour
la notion d'autodétermination nationale et beaucoup moins encore
pour les idéologies de gauche qui animaient les premiers
penseurs sionistes. Tout comme leurs frères européens,
ils ne voulaient surtout pas risquer de mettre en danger un statut
qu'ils avaient acquis avec tant de peine dans la société
locale.
Les Juifs qui arrivèrent en Palestine à partir de 1870
n'étaient pas animés des mêmes intentions.
C'était pour la plupart des socialistes convaincus, venus
d'Europe de l'Est et de Russie. Mais leur foi en la solidarité
des travailleurs avait été ébranlée par les
pogroms et les émeutes antijuives de plus en plus
fréquentes. Sans beaucoup de notions d'agriculture,
ils formèrent de petits groupes et partirent pour la Palestine
dans l'intention de fonder des colonies agricoles. Certains
espéraient seulement trouver la paix sur la terre de leurs
ancêtres. D'autres, s'accrochant encore à leurs
rêves révolutionnaires, rationalisèrent leur démarche et décrétèrent que la fondation d'un
Etat juif n'était qu'une étape intermédiaire
dans le grand combat pour l'égalité. Aucun de ces groupes
n'était réellement préparé à
affronter ce que leur réservait la Terre sainte.
le sioniste Dov Ber Borochov et ses amis à Plonsk, en Pologne, vers 1920
Première et deuxième « Aliya »
Même si l'on tient compte des conditions de vie qui
régnaient dans les ghettos d'Europe de l'Est, la vie en
Palestine, au XIxe siècle, était particulièrement
rude. Vivant sous la tente, ou dans des cabanes construites
hâtivement, les premiers immigrants durent faire face à
des épidémies de malaria, à des serpents, des
scorpions et des insectes. Ils trouvèrent leurs
voisins palestiniens hostiles et la population juive locale peu
accueillante. En raison des restrictions turques relatives
à l'immigration des Juifs de Russie, ces derniers durent
soudoyer les autorités turques locales pour pouvoir acheter
leurs terres et les actes furent enregistrés sous des noms
empruntés à des Juifs européens. Enfin la
déception la plus cruelle vint de la médiocrité des
terres et de leur rareté.
Malgré leur désir farouche de mener la vie fière
et indépendante des pionniers, les nouveaux arrivants
durent, eux aussi, faire appel àla philanthropie des Juifs
d'Europe et plus précisément à celle du baron
Edmond de Rothschild. Convaincu par des membres de la nouvelle
Association des amants de Sion, Rothschild dépensa près
de 5 millions de dollars dans les années 1880 pour venir en
aide aux nouvelles colonies telles que celles de Rishon LeZion (Premier
à Sion), Zikhron Ya'aqov, Rosh Pinna, Eqron, Metulla... Si les
colonies Rothschild parvenaient à survivre en produisant du
raisin, des céréales, des vers à soie, de
l'essence de roses et d'autres produits, elles travaillaient cependant sous la direction stricte des
représentants du mécène; leurs membres perdirent
rapidement leur ferveur socialiste.
pose plus conventionnelle pour un groupe de vieux patriarches juifs.
La deuxième vague d'immigration ou Alyia, n'était pas
mieux préparée aux rigueurs de la vie en Palestine, mais
elle fut plus importante et plus déterminée. Les pogroms
persistants n'étaient plus les seules forces négatives
qui chassaient les nouveaux pionniers hors de leur patrie. La
guerre russo-japonaise de 1904-1905, qui clairsemait les rangs de
l'armée russe, rendit nécessaire l' enrôlement
forcé des Juifs, dès l'âge de douze ans. Les
nouveaux immigrants avaient pourtant quelques raisons d'espérer:
le Congrès juif mondial. avait vu le jour en 1897 et le Fonds national juif avait
été créé quatre ans plus tard pour
organiser les achats de terrains en Palestine. Le premier groupe arriva
en janvier 1904. Entre cette date et le début de la
Première Guerre mondiale, on estime à trente-cinq ou
quarante mille le nombre des nouveaux immigrants en Palestine. La
plupart étaient des adolescents, issus le plus souvent de
familles russes, polonaises et lituaniennes de condition modeste, qui
débordaient de zèle socialiste. Ils se
considéraient comme l'avant¬garde d'une nouvelle
société juive. Ils parlaient hébreu, voyaient
en leurs prédécesseurs, les propriétaires terriens
déjà établis de la première Aliya, un ennemi de classe, et se mirent
immédiatement au travail en organisant des groupes pour
protéger les droits des travailleurs. Ces jeunes
théoriciens se sentaient inférieurs quand ils ne
parvenaient pas à trouver du travail, mais refusaient
cependant de gérer leurs propres fermes pour ne pas devenir des
« exploiteurs ». Ils ne se contentaient pas de supporter
une vie difficile: ils pratiquaient l'austérité et la
simplicité comme une religion. Leurs convictions peuvent
paraître naïves
aujourd'hui, niais ce sont les membres de cette seconde Aliya qui
devaient devenir les leaders de l'Etat d'Israël. David Ben
Gourion, le futur premier ministre de la nation, était l'un des
leurs, ainsi qu'Eliahu Golumb, futur chef de la Force de défense
juive, la Hagana, ou encore Dov Hos et Moshe Sharett, figures
marquantes de la diplomatie sioniste. La deuxième vague
d'immigration est aussi à l'origine du puissant mouvement
travailliste israélien: les deux organisations chargées
de protéger les droits des travailleurs, Poale
Zion et Hapoel Hatzaïr, furent créées en 1905.
Ironiquement, la coordination de l'immigration en Palestine ne commença qu'après la
mort du père fondateur, Theodor Herzl, en 1904.
Profondément dévoué à la cause, Herzl avait
cependant retenu l'argent collecté par le Fonds national juif de
crainte qu'il ne soit dilapidé en pots-de-vin aux
autorités turques. En 1908, sous l'influence de sionistes qui
prônaient une politique active d'immigration, l'avocat
allemand Arthur Ruppin fut choisi pour représenter la direction
du mouvement en Palestine. Ruppin, un intellectuel brillant,
doté d'un grand talent d'organisateur, fonda un bureau à
Jaffa pour lancer un plan systématique d'acquisition de terrains en basse Galilée et en Judée. De 1908
à 1912, plus d'une douzaine de nouvelles colonies furent
implantées, dont celle de Tel-Aviv.
Montée du nationalisme arabe
Les changements radicaux qui s'opéraient n'étaient pas du goût des Arabes palestiniens. Ils avaient vécu au côté des Juifs de Palestine depuis des siècles, mais les pratiques des nouveaux arrivants leur étaient étrangères. Leur vie en communauté, leurs idées politiques, leur affirmation de l'égalité des sexes, étaient en contradiction avec la vie traditionnelle des Arabes musulmans et chrétiens. Pis encore, la plupart d'entre eux étaient trop pauvres pour refuser les offres d'achat des Juifs, mais ils ressentaient durement la perte de ces terres qui leur appartenaient depuis des générations.
soldats britanniques à Jérusalem en 1917
Au fur et à mesure que les Juifs fertilisaient les sols arides,
la peur grandissait de les voir devenir un jour majoritaires en
Palestine.
L'humeur des Arabes passa d'un mutisme presque complet à un
militantisme actif, avec la chute du souverain turc Abdul Hamid, en
1908, et la montée du mouvement libéral des Jeunes Turcs.
Dans l'espoir nouveau que léurs propres rêves
nationalistes pourraient se réaliser un jour, les chefs
arabes prirent la tête de raids armés dirigés
contre les colonies juives et lancèrent une propagande
antisioniste. Arthur Ruppin et d'autres leaders sionistes firent en
vain de multiples efforts de rappro¬chement. Arabes et Juifs
défendirent leur cause devant le Parlement turc. Les Jeunes
Turcs, réagirent en distribuant des promesses libérales dans les deux camps. Certains leaders arabes et juifs envisagèrent pourtant d' œuvrer ensemble pour se libérer de la tutelle turque, mais leurs voix se perdirent dans les clameurs de la Première Guerre mondiale.
La Palestine en temps de guerre
L'entrée de l'Empire ottoman dans le conflit ébranla
l'économie de la Palestine. Profitant de la situation, le chef
turc Jemal Pacha arrêta, persécuta et expulsa de nombreux
sionistes, parmi lesquels Ben Gourion. Seules la grande habileté
de Chaim Weizmann, leader de facto du mouvement sioniste durant la Première Guerre mondiale et de
jure, après, et l'intervention de la communauté
juive américaine, avec à sa tête le diplomate Henry
Morgenthau, empêchèrent Jemal Pacha d'expulser ou de
massacrer la population immigrante juive tout entière.
En avril 1917, le Cabinet britannique décida d'occuper la
Palestine et promit en novembre un « territoire national pour le
peuple juif », selon les termes de la déclaration Balfour.
Jérusalem se rendit au général Allenby le 9
décembre 1917. En janvier 1918, les Britanniques
envoyèrent au Moyen-Orient une commission sioniste
dirigée par Weizmann. Ce dernier rencontra l'émir
Fayçal, fils du grand chérif de La Mecque et leader des forces arabes, qui se
préparait à attaquer les Turcs. Avec l'aide du colonel
britannique T.E. Lawrence, ou Lawrence d'Arabie, Weizmann reçut
l'assurance de la sympathie de Fayçal.
David Ben Gourion, habillé à la turque
La reddition des Turcs le 31 octobre 1918 ne signifiait pas pour autant
la paix en Palestine. Lorsque la Syrie proclama son
indépendance en mars 1920 et que Fayçal fut
couronné roi, la ferveur nationaliste arabe en Palestine
était à son point culminant. Des émeutes
éclatèrent au cours d'une fête musulmane
à Jérusalem, le 4 avril, faisant deux cent cinquante
victimes, dont 90 % de Juifs. C'est dans ce climat politique
troublé que, le
24 avril 1920, la conférence de San Remo
accorda à la Grande-Bretagne un mandat pour
gouverner la Palestine, sous les auspices de la respectable Société des Nations.
La Grande-Bretagne au pouvoir
Les leaders britanniques étaient irrémédiablement divisés sur la question de la Palestine.
Des hommes comme lord Balfour, Winston
Churchill, sir Herbert Samuel et David Lloyd
George considéraient les Juifs comme de puissants alliés' et étaient acquis à l'idée d'un refuge juif en Palestine. Ernest Bevin, Anthony
Eden et beaucoup d'autres trouvaient en revanche les revendications
territoriales arabes légitimes et considéraient les
Arabes comme des amis plus importants. Malheureusement pour les
Juifs du Yishouv, les autorités britanniques en Palestine
n'étaient pas aussi
divisées: 90 % du contingent britannique
étaient opposés à l'idée d'un Etat national
juif. Lorsque de nouvelles émeutes judéo-arabes
secouèrent la Palestine, en 1922, les Arabes obtinrent des
Anglais un certain nombre de concessions, sous la forme d'un Livre blanc
rédigé à Londres. Les nouveaux règlements incluaient des restrictions sur l'immigration
juive, destinées à protéger les capacités d'absorption économique du pays.
Malgré cela, l'enthousiasme des Juifs pour
la Palestine ne fit que s'accroître: de 1919 à 1923,
trente-sept mille nouveaux immigrants - la troisième Aliya -
venus de Pologne et de Lituanie, via la Turquie et le Japon,
parvinrent à atteindre la Terre promise; cela fut
possible en partie grâce à l'Hehalutz, une
organisation sioniste qui, depuis le début des années
1920, avait commencé à former les candidats pionniers au
travail agricole. Parmi les nouveaux arrivants, beaucoup étaient
des socialistes, comme Golda Meyerson (qui devint Golda Meir), et leurs
idées semèrent le trouble dans les rangs du mouvement
travailliste du Yishouv. En 1920, la Histadrou Fédération générale du
travail - rassembla les principaux groupes travaillistes dans une
coalition non partisane. Elle parvint non seulement à mettre sur pied un réseau d'écoles, de
bibliothèques, de centres culturels, de journaux, de
maisons d'édition, de banques, de
coopératives d'achat et un programme de soins médicaux,
mais elle fut aussi un véritable pionnier en matière
d'industrie et d'agriculture et devint bientôt le plus gros
employeur du pays. Les immigrants apprirent à surmonter les
conflits d'intérêts internes afin de maintenir la
stabilité du parti.
Mouvements communautaires
Le mouvement des kibboutzim, fer de lance du
développement à grande échelle de l' agriculture en Palestine, fut une des autres utopies de la troisième
Aliya. Fanatiques dans leur attachement aux principes socialistes,
les kibboutzniks allèrent jusqu'à élever leurs enfants en
communauté, de manière à les purger de toutes notions bourgeoises. Les biens et les propriétés
du kibboutz étaient mis en commun, et les
communautés (de soixante à trois cents membres)
partageaient les échecs comme les réussites. Avec quatre
mille travailleurs en 1927, le mouvement connut une expansion
spectaculaire ,et atteignit seize mille membres en 1930, puis
vingt-cinq mille en 1939.
La prospérité des années 1925 et 1926 attira une
quatrième Aliya, avec près de soixante mille Juifs
d'Europe de l'Est qui s'installèrent pour la plupart à
Tel-Aviv et à Haïfa. Mais l'arrivée de ces nouveaux
venus augmenta le nombre des chômeurs, parmi les Arabes comme
parmi les Juifs. Au cours de l'été 1929, un
désaccord sur les sites sacrés de Jérusalem
encouragea un raid arabe dans le quartier juif de la cité; la
violence s'étendit rapidement à d'autres villes. En
quatre jours, cent trente-trois Juifs et quatre-vingt-sept Arabes
furent tués. Les Britanniques réagirent par un autre
Livre blanc, qui annulait virtuellement la déclaration
Balfour et suggérait de sévères restrictions quant
à l'immigration juive. Arabes et Juifs commencèrent
à s'armer à l'étranger et, à la fin de
septembre 1929, Moussa Kazim Pacha, le président de l'
exécutif arabe en Palestine, avertit les Britanniques
qu'ils devaient s'attendre à un soulèvement armé,
s'ils ne changeaient pas leur politique en faveur des Arabes.
Un spectre plus inquiétant planait sur l'Europe. Le National
Socialisme avait entamé son ascension vers le pouvoir en
Allemagne, et les six cent mille Juifs allemands étaient devenus
les boucs émissaires et les responsables de tous les
malheurs. Adolf Hitler fut nommé chancelier le 30 janvier 1933,
et la brutale persécution qu'il mena contre les Juifs
entraîna un nouveau raz de marée de réfugiés
vers la Palestine - soixante et un mille pour la seule année
1935. Les leaders arabes réagirent en appelant à une
grève générale contre les intérêts
juifs en avril 1936. En mai, débutèrent des
émeutes qui devaient durer tout l'été. L'Agence
juive réussit à réprimer toutes
représailles de la part du Yishouv, mais lorsque ces
émeutes tournèrent à la révolte
organisée, en 1937 et 1938, les organisations de défense
juives réagirent avec force. Les Britanniques nommèrent
une nouvelle commission qui proposa le partage de la Palestine en
secteurs arabe, juif et anglais, selon un découpage qui ne
satisfaisait personne.
Convaincu que la situation en Europe et en Palestine était plus désespérée que les
Britanniques ne voulaient l'admettre, Vladimir Jabotinsky mobilisa son
parti révisionniste pour organiser une navette maritime
à grande échelle et permettre aux Juifs
européens de gagner la Terre promise. Les Anglais
contre-attaquèrent en interceptant et en renvoyant les
navires, chaque fois qu'ils le pouvaient. En mai 1939,
parfaitement informés des menaces d'extermination du peuple juif
prononcées par Hitler, les Anglais publièrent le plus
infâme de leurs Livres blancs, qui limitait l'immigration
juive en Palestine à cent mille personnes pour les cinq
années à venir. Presque toutes les autres nations
fermèrent successivement leurs frontières aux
réfugiés
juifs. Quelques mois plus tard, le monde était de nouveau en
guerre et le destin de la population juive européenne
était scellé.
La Seconde Guerre mondiale
Devant l'extermination de six millions de leurs frères et
sœurs, les Juifs du monde entier en vinrent à la
même conclusion: il leur fal¬lait à tout prix un
État juif indépendant et fort.
En janvier 1944, l'Irgoun de Menahem Begin appela les Juifs de
Palestine à la révolte et forma un gouvernement juif
provisoire. L'Irgoun s'attaqua aux postes de police et aux bureaux
britanniques, et s'empara de leurs armes. Cependant de nombreux Juifs
s'engagèrent dans l'armée britannique, vers la fin de 1944,
pour combattre les forces de l'Axe. Ces nouveaux combattants acquerront
un entraîne¬ment qui leur sera précieux pour les
combats futurs. David Ben Gourion fit une visite secrè
te aux États-Unis, dans les semaines qui suivi
rent la victoire des Alliés en Europe, pour obtenir des armes,
en vue du conflit qu'il prévoyait entre Juifs et Arabes.
Erreurs et tergiversations anglaises
Après la reddition de l'Allemagne, le 8 mai 1945, bon nombre des cent cinquante mille survivants juifs de l'holocauste hitlérien cherchèrent à retourner dans leur pays d'origine.
une jeune fille et sa grand-mère posent leur premier regard sur la Palestine
Ils furent horrifiés de constater qu'ils étaient toujours aussi malvenus. D'août 1945 à mai 1946, soixante-quatre navires se dirigèrent vers la Palestine, avec à leur bord soixante treize-mille réfugiés, grâce à l'aide de la Hagana et d'autres organisations clandestines. De manière tout à fait surprenante, les Britanniques s'accrochèrent à leur quota d'immigration de 1939 et détournèrent des bateaux de réfugiés ou mirent leurs passagers dans des camps d'internement. La Hagana se vengea en faisant sauter simultanément neuf ponts stratégiques en Palestine; les Anglais répliquèrent à leur tour en arrêtant trois mille Juifs. Le 22 juillet 1946, les membres de l'Irgoun camouflèrent de puissantes charges explosives dans des boîtes de lait destinées au quartier général de l'administration britannique, installé à 1 'hôtel King David de Jérusalem. Ignorant l'avertissement qui les sommait d'évacuer les lieux, les Anglais subirent un choc terrible, une aile de 1 'hôtel explosa, tuant quatre-vingt-onze personnes.
Sous la pression des Anglais, qui réclamaient un retrait pur et simple de leurs troupes
en Palestine, le Cabinet britannique décida, en février
1947, de se décharger du problème de la Palestine sur les
Nations unies. Après neuf mois de débats, l'ONU
présenta un projet de séparation de la Palestine entre un
État juif et un
État arabe. Le 29 novembre, l'assemblée
générale de l'ONU vota ce projet. Au moment même
où les Juifs du Yishouv se mettaient à danser dans les
rues, les Arabes se soulevèrent dans tout le pays. En moins de
six mois, six mille soldats et civils furent tués - près
de 1 % de la population juive de Palestine. A
l'approche du 15 mai 1948 - date prévue du
retrait britannique - les armées d'Egypte, de
Transjordanie, de Syrie et du Liban massèrent sur toutes les frontières du futur Etat juif.
immigrants clandestins retenus par les Britanniques