19: O, moun païs !

D'accord, un occitaniste aurait écrit: O, mon pais, o Tolosa, au lieu du gavache "O, moun païs, o Toulouso" mais comme mes rarissimes lecteurs s'en balancent totalement…

Donc, à Casa, je militais au PCM, surtout en vendant à la criée "l'Espoir", le journal du Parti. Mais une réunion de cellule où nous dûmes exclure, sans l'entendre et sans avocat, un militant coupable de fautes mal définies, me mit mal à l'aise. Revenait-on aux ignobles "procès de Moscou" ? Voilà qu'un soir, convoqué (pour la première fois) au siège, "on" me remet, avec force mystère, un paquet de tracts en arabe, à porter à telle adresse, dans le quartier calme et désert de l'Oasis. Un peu intrigué, je les enfile entre peau et chemise, comme au temps de Pétain. A peine dix minutes plus tard, deux flics surgis de la nuit me demandent d'ouvrir ma chemise… et hop, au poste, diffusion de tracts subversifs…

Toujours aussi con, je ne compris pas que j'avais été piégé comme un naïf, même lorsqu'un flic sympa me suggéra un retour en métropole (emmerder un FFL ex-combattant de première ligne était sans doute trop risqué pour eux, mieux valait l'intimider loin des journalistes curieux)

Petite parenthèse: J'ignore les arrières-pensées des dirigeants du PCM, militant soudainement pour l'indépendance du Maroc, mais de mes conversations avec les "militants de base" que je fréquentais, musulmans comme juifs indigènes ou non et immigrés surtout espagnols, tous souhaitaient que la France, tenant loyalement les promesses faites pendant la guerre (car les goumiers marocains, en brisant la ligne Gustav ont permis la prise de Rome et Sienne, ce qui facilita beaucoup les bombardements massifs américains, et donc accéléra considèrablement l'effondrement du Reich millénaire) accorde l'indépendance, l'Istiqlal, à la condition sine qua non d'un traité d'amitié garantissant les libertés fondamentales, la protection des minorités et la démocratie. Je suis persuadé que si les Bidault, Soustelle et autres zigomars l'avaient compris, au lieu de faire l'inverse, la civilisation mixte, alliant la générosité des musulmans à la laïcité française, que souhaitait la majorité des jeunes citadins, aurait balayé les vieux nostalgiques de l'islam machiste, esclavagiste et obscurantiste comme les vieux cons colonialistes souhaitant faire suer le burnous.

Cela ne plaisait guère aux deux mafias locales: les pieds-noirs aux mains blanches de la Résidence, et les indépendantistes esclavagistes de l'Istiqlal, rêvant de faire suer le burnous pour leur compte. Mais nous aurait évité les humiliations qui nous firent partir, la queue entre les jambes, après avoir ravagé l'Afrique du Nord.

On me le fit payer. Très cher.

(petite parenthèse: peu d'années après, "troubles" au Maroc, car l'ignoble Bidault avait déporté le sultan Mohammed aux Comores. Qui vit-on arriver dans le modeste magasin de papa, boulevard de la Liberté ? Ces beaux messieurs de la Résidence qui devaient croire que notre famille maudite pouvait les protéger, grâce sans doute à une (totalement imaginaire) relation avec les révoltés. Il est vrai que papa était populaire parmi les vendeurs du marché d'en face, qu'il pansait gratis et défendait contre leur salaud de patron-parent )

J'embarquai sur le paquebot "Marrakech" et débarquai, en 1949, à Bordeaux. Où, pour la première fois depuis Angoulins en juin 40, je dégustai des huîtres, vendues sur le trottoir par une vieille marchande indignée de les voir gobées plus vite qu'elle ne les écaillait.

A la gare St-Jean, je m'en voulus: J'avais été choqué par un spectacle insolite, impensable au Maroc: des ouvrières européennes lavant les vitres des wagons. Réflexe macho-colonialiste involontaire ?

Train pour Toulouse, arrivée au Tigre Royal. L'oncle Henry me propose de remplacer la fidèle caissière, déjà là en 1930, Madame Etcheverry, qui venait juste de démissionner. (Je sus longtemps après que ma tante Marguerite avait exigé son départ car elle connaissait les amours coupables d'Henry et n'en avait rien dit.)

Du coup, me voilà courant les librairies pour acheter méthodes de machine à écrire et de sténo. Dénichant une sténo facile à apprendre, plus rapide que les autres, qui m'a souvent été fort utile: la méthode Virlet, inventée par un prisonnier en Allemagne. Me voici donc, mauvais caissier, mauvais dactylo, mauvais sténo, détestant le métier de fourreur, m'ennuyant derrière ma caisse, logé d'abord par l'oncle Henry, puis chez des vieilles tataragnos (tataranha, araignée occitane) contre loyers abusifs.

Lucette, la vieille vendeuse, grande source de ragots croustillants, fut épaulée par la jeune et belle Jacqueline Laguens. Moi, je m'inscrivis au PCF, où j'avouai ma déception: au Maroc, à lire l'Huma, là-bas, nous étions persuadés que la France était une vraie république populaire où la classe ouvrière combattait victorieusement la réaction, alors que Toulouse était aussi minable que jadis, le boulot aussi mal payé et les ouvriers aussi amorphes. Heureusement, à la "librairie de la Renaissance" (du Parti) je sympathisai avec le jeune (mais pas très photogénique) gérant, Francis Patérac, bon militant, qui me présenta le secrétaire du Parti, Boulet, ex-copain de l'école Guynemer, recruté par moi en 42. Lequel vira Francis peu après pour avoir émis des doutes sur les aptitudes de certains camarades.

Chez Henry et sa maîtresse Leslie, je vivais (et mangeais) comme les bourgeois. Même, ils m'amenèrent souvent skier dans les Pyrénées. Rentré dans mes turnes, j'étudiais car je m'étais inscrit en MPC à la Fac de sciences de Toulouse, ce qui me fit découvrir et voir démontrer l'immortelle équation d'Euler eiπ_1= 0 qui réunit les cinq "briques" de presque toutes les mathématiques. Notre prof, M. Combes, parlait avec une telle clarté de ces notions nouvelles pour nous, intégrales, déterminants, cosinus hyperboliques, logarithmes népériens, etc, que les étudiants séchaient les cours des autres profs. Il s'arrêtait au milieu d'une phrase ou d'une démonstration à l'heure pile, sans regarder sa montre, et reprenait au cours suivant, fut-ce 15 jours après, au mot même où il s'était arrêté. Mais ce qui semblait couler de source à l'amphi devenait soudain ardu lorsqu'il fallait faire des exercices et résoudre des problèmes. J'échouai lamentablement.

Lorsque mon frangin André fut expulsé à son tour du Maroc, il fut embauché par solidarité au "Patriote de Toulouse" mais eut la mauvaise idée de suggérer de temps à autres de petites réformes pour améliorer le journal. Cela déplut fort, renvoi, et, chômeur, nul ne voulut l'aider. Il fut réduit à trimbaler de lourds sacs à 4 heures du matin en hiver, au marché de gros. Y attrappant sinusite et bronchite. Heureusement, d'anciennes copines de la Résistance et Madame Vaysse, mère de notre ancien copain de 40/42, l'hébergèrent plus ou moins, jusqu'à ce que l'oncle Achille lui allonge quelques gros billets et lui paie le voyage vers Paris, où il trouva logis et boulot, ouvrier chez Simca.

Aux réunions de cellule, vaseuses, on sentait que l'enthousiasme n'y était plus. Heureusement, vers 1950, grand battage sur Mitchourine et Lyssenko, on pouvait tout espérer de ces deux thaumaturges capables de faire mûrir en pleine "terre" des tomates au pôle Nord, greffer du thé sur des palmiers en Sibérie et autres preuves absolues de la science soviéto-marxiste. On marcha avec enthousiasme, chaque armoire abrita des expériences de greffe d'orge sur maïs et de fraises sur pommiers. Avec très très peu de résultats concrets, sauf faire se rencontrer des illuminés et leur faire arpenter bien des kilomètres en visites de parcelles et d'expérimentateurs. Grâce à ça, malgré de légers doutes sur cette nouvelle science, j'obtins en outre quelques passades "hygièniques" avec des copines du Parti.

Mon vrai (et minable) roman toulousain, ce fut pourtant avec une réactionnaire, Maïté, fille de la petite noblesse snobinarde locale, un peu défraîchie sur les bords. Je préfère ne pas en parler, car, si je me permets audaces et dépravations imaginaires, dans le réel, je suis plutôt puritain: l'idée de faire souffrir quelqu'un (même consentant) me répugne. Et les propositions sado-masochistes de la demoiselle m'en dégoûtèrent. Ne me parlez pas de Barbara, que je me serais bien envoyée et n'attendait visiblement que ça, mais je m'abstins car sa vieille copine, la douce Maïté, me sussura de tout lui raconter, ensuite. A la suite d'un avortement qui tourna presque mal (ne tombez jamais malade un 1er mai), il y eut rupture.

A Toulouse, une rive inondable de la Garonne était devenue, vers 1900, un grand et assez beau parc. Comme les alentours étaient (sauf les côteaux de Pech-David, surplombant la Garonne), assez peu avenants, sauf en allant très loin, c'était la promenade dominicale favorite des Toulousains non-motorisés. Hélas, les édiles "aménagèrent" une usine d'incinération, une piscine olympique, et des tas de bidules provisoires qui firent du Parc Toulousain un pauvre vestige sans charme et sans âme. Lorsqu'on supprima les trams, vers 1953, la ville fut aussitôt asphyxiée: Les Toulousains sur leurs tacots fuyaient le week-end les embarras urbains à la queue-le-leu vers le lac de Saint-Ferréol, (~50 km) au prix d'embouteillages monstres.

J'ai déploré cette subite disparition des trams. Aucune auto n'osait se garer dans les rues étroites où ils passaient, réputés qu'ils étaient d'épais pare-chocs d'acier et de freins très usés. D'où fluidité garantie de la circulation. Aux heures de pointe, on attelait deux ou trois wagons de plus, et raï, comme on dit chez nous. Les ponts étroits, monuments historiques construits par Riquet sur le canal du Midi, ne les gênaient pas du tout, alors que les bus aux gros culs ne les franchirent qu'au prix de gigantesques embouteillages. Et je me souviens avec reconnaissance qu'on prenait le tram, en 41 et 42, juste derrière chez nous, place Esquirol, pour aller au terminus en pleine campagne à Lalande, acheter au marché noir des pommes de terre aux paysans du coin. Ousqu'elles sont, leurs fermes, boudi macarel, à présent ?

 

Mais leur disparition eut tout de même un seul avantage: appelés, vers 1990, à Toulouse pour la succession du brave oncle Achille, nous dûmes, mon frère Jacques et moi, levés de bon matin, attendre l'ouverture des banques et études de notaire. En profitant pour nous balader dans les rues que nous avions tant arpentées au pas si bon vieux temps. Miracle ! Les portes sombres et toujours closes des vieux hôtels de jadis s'ouvraient pour que les jeunes cadres puissent aller au boulot dans leurs belles bagnoles. Que n'avions nous un appareil photo: Une autre ville, pleine de belles demeures Renaissance se cachait derrière les hauts portails aveugles et muets !

Revenons en 1950: Déçu par mon boulot, je décevais plus encore mon brave oncle qui m'aurait voulu son successeur, donc plus dynamique. Les filles, rien de cassant, sauf celles que je n'eus pas. Les études, stoppées après cet échec humiliant. Le Parti, de plus en plus antipathique et stalinien. Même Francis Patérac me déçut, prenant des positions colonialistes sur le Viet-Nam et l'Algérie. Pour comble, à mon insu, je ruinai l'oncle Henry: en longues additions, je me trompai, une seule fois, d'une unité sur les retenues, mais d'un million.

Le fisc ne voulut jamais croire à une erreur involontaire, et l'amende qu'il infligea, longtemps après mon départ, ruina l'oncle et mit quinze personnes au chômage.

Mes seuls bons souvenirs en cette époque, c'est mes vacances. L'hiver, l'oncle m'amenait en Andorre faire du ski. En 49, j'allai à Collioure en vélo, ravi par les grands aloès le long des chemins. Plus ravi encore par les milliers de poissons nageant dans les eaux claires du port, que j'admirais à travers mon masque de plongée.

En 50, Toulouse-Biarritz, en vélo. Première étape: Tarbes, 138 km. Le lendemain, Lourdes, 20 km. Je terminai le trajet à faible allure. J'arrivai quand même, et fus séduit par un pays basque pas encore bétonné.

L'an suivant, auto-stop via Brive vers Paris, où j'entrevis André, le frangin. Vers Caussade, un Quercynois endimanché qui m'avait pris crève un "peneu". Mais durant la campagne d'Italie, ça nous arrivait si souvent que je m'empare du cric et en 5 minutes, voilà remontée la roue de secours. Du coup, invité à la noce pique-nique, je me régalai, ignorant que le vin de Cahors endort. Je m'éveillai à la nuit tombante. Arrivée le lendemain soir, je pus constater qu'André vivait dans les beaux quartiers, mais dans une turne à Nord-Africains où il me fut interdit de dormir. On m'indiqua une AJ (auberge de jeunesse), mais à Chatenay-Malabry, 20 km au sud ! Ayant voulu voir Boris Godounov à l'Opéra, le métro du retour stoppa à minuit, me laissant à la station Etoile, fort loin de l'Auberge de Jeunesse. Bon, allons à pied chez mon cousin Milou, à Saint-Maur. Bien trop loin. Epuisé, j'essaie de dormir sur un banc aux alentours de la station Bonne Nouvelle, mais froid de canard. J'entrai au hasard dans un immeuble, montai au 6ème et dormis sur le palier.

Retour en stop, des Italiens me menèrent à Lyon. Durant le trajet, je retrouvai assez vite ce langage parlé presque couramment en 44. Ils avaient combattu sur le même front que moi, mais en face, bien malgré eux. Et m'apprirent "Bella, ciao !" De stop en stop, par Grenoble, Aix en Provence, je revins à Toulouse ayant discuté et plaisanté avec une foule de gens plus ou moins sympas: un curé motard fou de vitesse, un candidat battu aux élections, un homosexuel initié à Miranda, un anglais anti-communiste et roulant à 25 kmh maxi, une foraine motarde délurée, des joyeux représentants de la moutarde Bornibus, un couple mal embouché qui me vira en pleine montagne déserte au bout d'une demi-heure de route. Et j'en oublie.

Mes dernières vacances au départ de Toulouse, en 52, commencèrent sur la route de Pamiers, où m'avait déposé l'oncle Henry roulant vers Grépiac. Une Citroën modèle trèfle 1924 me prend aussitôt, je sympathise avec l'étudiant qui la conduit à faible allure, et le soir, nous arrivons au sommet d'une colline non loin de la ville natale de Charles Trenet, dans un petit château où je dîne, dors et suis réveillé le matin par la maman m'apportant un petit déjeuner royal.

Le jeune étudiant me dépose sur la grand'route, et un ou deux stops m'amènent à Collioure. Horreur, tous les aloès géants ont disparu, sans doute vandalisés par les touristes, moins respectueux que les Boches.

Mais l'auberge de jeunesse la plus médiévale de France est toujours là, un château "des Templiers" dominant la ville. Au dortoir, je sympathise avec un jeune Polonais goy, à qui je conte sans doute mes souvenirs lorsque je fus chef du "groupe polonais" de Miranda.

Le lendemain une fille délurée accompagnée d'une timide copine hèle mon polaque, et nous voici tous quatre à la "plage". En ces temps lointains, cette plagette fut sans doute championne du monde des séductions de filles. Son secret: les oursins. Ces animaux antédiluviens abondaient dès les premières vaguelettes du rivage, et les malheureuses, malgré nos avertissements, ne manquèrent pas l'occasion de barboter pieds nus dans l'onde amère truffée d'épineuses surprises.

Heureusement, vu mon précédent séjour, j'avais sur moi la pince à épiler qui nous permit, comme à tous les autres garçons de la plage, de jouer les chirurgiens et lier plus ample connaissance. L'après-midi, à la frontière, le moscatel aidant, j'osai dire à la timide copine tout le bien que je pensais d'elle. Elle partit le lendemain matin pour Barcelone, mais nous nous étions jurés de nous revoir et nous marier. Je serais bien en peine de dire pourquoi, car elle était si réservée et moi si timide. Mais c'est comme ça.

Resté à Collioure. Je ne raconterai pas la triste corrida contemplée gratis du haut des remparts de notre château-auberge, à la fureur des aficionados locaux qui tentèrent d'incendier le dit castel.

Voulant m'inscrire pour une longue excursion en montagne, le guide me reboula, plutôt séchement, groupe déjà trop nombreux. Le matin du départ, en espadrilles et tenue de plage, je l'accompagne un bout de chemin. Au fur et à mesure, multiples abandons, surtout de filles. Obligeamment, je charge deux ou trois sacs à dos sur mes épaules. Le guide, le soir, commença à m'apprécier, surtout parce que je trimballais sans effort l'énorme sac de pain. Moi qui n'ai jamais eu le pied montagnard, là, ça grimpait tout seul, je sautais de rocher en rocher dans les lits de torrent, sans fatigue ni faux-pas. Je revis la Madeloque et la Massane, ces tours contournées en famille en fuyant la Pétainie. Le troisième jour, nous ne restions qu'une poignée, sans tabac, sans eau, sans pain, sur la piste du retour.

Mon plus beau souvenir, les clarines des chèvres que le berger ramenait de la montagne, au petit matin. Mais j'étais pieds nus, les espadrilles étaient foutues.

Rentré à Toulouse, j'annonçai à l'oncle Henry ma décision de me marier. Il m'interrogea un peu, et devant ce coup de foudre, me dit: "Tu fais la plus grosse bêtise du monde, mais avec la chance que tu as, je suis sûr que tout ira bien." Prophétie si bien accomplie que je continue à en être épaté.

Jacqueline m'avait proposé un rendez-vous gare Matabiau à son retour de vacances barcelonaises.

Mon vélo à la main, à la porte de l'Arrivée, je dévisageais toutes les belles qui déboulaient, avec crainte, car j'ai une infirmité, j'ai du mal à me souvenir des visages. Un quart d'heure, une demi-heure… J'attends toujours, ruminant de tristes pensées, je me prépare à enfourcher le vélo. Une voix m'interpelle.

Elle m'attendait elle aussi, et s'en allant découragée, m'entrevit: Arrivée deux heures plus tôt, elle me guettait, mais côté départ. Mais elle, Dieu merci mille fois, m'avait reconnu de loin,.

Je ne raconterai pas la suite, sauf que ce fut l'occasion d'emprunter le kayak (toile et bambou, pas les trucs actuels en plastique plus ou moins rigide) de l'oncle Achille et faire une promenade romantique au pied de la célèbre usine de l'ONIA, vous savez bien, celle qui a explosé en 2000, sous une autre identité (AZF).

Elle repartit pour Paris, je continuai à exercer mes pauvres talents au Tigre Royal, envoyant des kilogs de lettres et poèmes à mon institutrice chérie. Elle revint pour les vacances de Noël. Et cessa d'être demoiselle.

A Pâques 53, elle m'invite chez ses oncle et tante de sa ville natale de Fontenay-le-Comte, en Vendée.

Le matin du départ, douleurs abdominales aigues. Antoine, le fidèle chauffeur, me transporte à l'hôpital de Purpan, aux urgences, vers 9 heures. On m'installe dans un cagibi où je me tords sur le sol cimenté jusqu'à 1 heure de l'après-midi, sans voir âme qui vive. A la fin, on me découvre, me transporte à tout berzingue dans un lit, où, le lendemain matin, le célèbre professeur Ducuing en personne vint constater que je n'avais plus ni douleur, ni symptôme quelconque, et je suis ramené, nos vacances gâchées, au Tigre Royal.

Ma mémoire infidèle me rappelle des épisodes que je ne sais plus où placer. Je suis certain d'être allé, avant mon mariage, de Toulouse à Bordeaux en compagnie de Jacqueline.

Je me souviens aussi d'un voyage d'automne Toulouse-Fontenay, où je dus passer la nuit à la Rochelle. Fort désargenté, j'arpentai les rues de ce port de pêche alors très peu touristique, me baignai nu sur la plage déserte, passai devant un hôtel particulier illuminé où dansaient des jeunes hommes en frac et des jeunes filles en robes de bal. Puis un train m'amena au Gué de Velluire où je dus attendre un bon moment la correspondance pour Fontenay. Mais quand ? Je ne m'en souviens plus. Toussaint ?

Toujours est-il que je fis la connaissance de la brave grand'mère de Jacqueline, qui mourut peu de temps après, heureuse que sa pauvre orpheline ait trouvé un fiancé. Mais si l'oncle Marius était très sympathique, la tante Fernande se méfiait un peu de ce garçon étranger, sectaire, mal fringué et sans situation. Heureusement, le cousin Geo et l'oncle Marius furent plus accueillants.

Entre temps, ma fiancée faisait des pieds et des mains pour obtenir de son Education Nationale le droit d'épouser son apatride prétendant, et je dus, accompagné des deux jeunes vendeuses du Tigre Royal, qui eussent pu être mes filles, les faire témoigner que j'étais bien né en 1924 au fin fond de la Lituanie