23 - David, Goliath et Jacob

Ce matin, attendant qu'un artisan répare mon rasoir, je lui ai raconté l'une de mes plus glorieuses aventures professionnelles.

C'était voici 20 ans, coup de téléphone rageur du chef du B.E de la Franco-Belge de Chemins de Fer, près de la mystérieuse ville d'eaux de Saint Amand, où la pollution a sculpté l'une des plus surréalistes façades d'église que je connaisse. Mais là, pas question d'art, ni de cure thermale: mes Dzus étaient accusés de déchirer les jupes en caoutchouc de marches repliables, sur l'interconnexion.

Qu'es aco, l'inter-connexion ? Un super-métro réunissant SNCF et RATP, reliant Roissy-TGV à Gare du Nord, St-Michel, Orly et Massy-TGV. Circulant sur voies étroites et quais élevés du métro comme sur voies larges et quais bas SNCF, il fallait que les marches indispensables pour ces derniers s'escamotent dans les quais-métro. Et protéger les fragiles mécanismes par ces jupes souples en caoutchouc, que les têtes de mes Dzus déchiraient.

Usine géante, mais endormie, quasi déserte. Accueil plus que glacial au BE. On m'y montre les plans. Tout est bien conforme et correct. A midi, je propose un repas. Refus sec du chef du BE. Tout seul, comme un pestiféré, je cherche un restaurant. Pas question du "repas d'affaires" traditionnel. Retour à l'usine. Sur les murs, tags géants: La SFB vivra, non aux licenciements, etc...

On me mène à l'atelier voir les fameuses marches et "mes" dégâts. Alors que je me perds en conjectures, le chef du BE pose un doigt vengeur sur la tête fraisée d'un Dzus dépassant d'au moins deux millimètres, et donc ne pouvant qu'accrocher tout ce qui passe à sa portée, la fameuse jupe: Pour gagner du temps, les ouvriers, au lieu de fraiser le logement de la tête à la profondeur exigée, se contentaient d'un léger chanfrein.

Du coup, je remarque: "Si c'est en sabotant le boulot que vous croyez lutter contre les licenciements, z'avez intérêt à vous recycler !" De retour à notre petite usine, ses 5 ouvriers algéro-tunisiens, ses 3 ouvrières et ses 3 employées, j'écris une lettre où je félicite le chef du BE dont les plans étaient corrects et qui a découvert l'anomalie. Soulignant que malgré un montage aberrant, mes pièces n'avaient été ni cassées, ni déformées. Et que peu d'autres matériels auraient résisté à de telles malfaçons, plus du double de la tension préconisée !. On envoie donc ces trois ou quatre pages, avec commentaires venimeux sur les compétences de nos industriels, aux 3 directeurs techniques: SNCF, RATP, SFB. Aucun ne répondit.

Mais, un mois plus tard, les commandes doublèrent en quantité.

Il est trop tard à présent pour rappeler tous les incidents, glorieux ou non, de notre vie d'usine "indépendante", mais voici comment on a changé de maîtres. C'était vers 1980. La Dzus faisait alors partie de Guiot, usine de pompes, mais surtout de filtres à huile Fram, pour voitures. Quelques années plus tôt, un petit inventeur leur proposa un système de pliage accordéon qui doublait la surface filtrante du papier plissé, dans un volume identique. Repoussé avec mépris, il avait fait la fortune de Labinal qui nous fauchait tous les marchés. J'ai moi-même à mes débuts tracé les plans d'un pied de filtre dont je suis très fier, mais que Peugeot refusa pour une petite merveille Labinal bien moins encombrante.

La Dzus, qu'on voulait fermer vers 58 car non rentable, l'était devenue peu à peu (grâce à moi en bonne part) et finit par être la "vache à lait" de Guiot-Fram. Ces combats de titans étaient provoqués par les constructeurs automobiles, qui imposaient à Guiot-Fram des prix de vente inférieurs au prix de revient: l'équipementier étant censé se rattraper avec les rechanges, mais comme les pompes duraient plus que les voitures et que les contre-façons de filtres se vendaient dans tous les garages... Comme blaguait un collègue: "On perd sur chaque pièce, mais on se rattrape sur la quantité".

Nous, Dzus, avions refusé carrément de les fournir: "Le jour où vous seriez mon client, vous seriez mon patron", avais-je répondu à l'acheteur de Citroën. Je préférais les avionneurs et les électroniciens, qui payaient bien mieux, aux bagnolistes et à leurs exigences. Nous, on faisait du durable, de l'increvable. Grâce à ça, on fournit l'industrie de pointe, ceux qui veulent du sérieux, pas de la camelote. Chers, mais fiables, et on tenait nos délais. Dans l'industrie, il faut choisir. J'ai l'impression que pour être supérieur à la concurrence: soit être meilleur techniquement, soit avoir des délais garantis, soit être moins cher, soit avoir des conditions de paiement plus avantageuses.

Nous, on avait les points 1 et 2, ce qui nous ouvrait un marché en expansion, car l'informatique militaire et l'espace se foutaient des prix.

Résultat, pompes et filtres se lancèrent dans des super-machines devenant obsolètes lorsqu'un bagnoliste décidait de changer de modèle avec 3 mois de préavis.

Et notre nouveau PDG, venu d'une boîte de filtres en faillite, accéléra les choses: Par des investissements démentiels, achetant une usine dans l'Aisne, rompant en même temps avec Fram, renvoyant le chef d'atelier expérimenté et jetant, sans les détruire, les filtres neufs "Fram" décrétés périmés, il cumula les erreurs (sciemment ?) Les filtres, aussitôt récupérés par des ferrailleurs avisés furent revendus au rabais aux garagistes: Guiot s'était concurrencé lui-même !

Voyant ça, lors de notre voyage annuel, Daniel Com et moi, à Farnham, (Surrey) siège de Dzus-Angleterre, j'explique au PDG rosbif, Mr Knight, qu'il a intérêt à quitter ces associés dingues.

- Aoh, yes, but who can manage an independent Frog factory ? (O.K., mais qui peut diriger une usine franchouillarde ?) Il devait s'attendre à ce que je me propose, étant le plus ancien, mais je ne sais pas lire un bilan et suis nul en comptabilité. Je n'y avais pas songé. Sans hésiter, ni réfléchir, je dis: "Daniel", car je l'avais vu à l'œuvre et savais qu'il était bon technicien, meilleur vendeur, et qu'en outre il avait suivi des cours de comptabilité, indispensables. Quel couillon ! Pas du tout: Il s'en tira à merveille, et c'était dur, car fournisseurs et banquiers n'ayant pas confiance en ce petit jeune, exigeaient des paiements au comptant ou même d'avance.

Sans parler de la recherche de locaux, du transfert des machines, de la méfiance des ouvriers à qui l'on donna le choix de rester avec Guiot ou s'embarquer à l'aventure avec nous. Aucun ne le regretta. Surtout pas moi, car pendant quelques années, les bénéfices furent tels qu'aucun de nous n'aurait pu rêver de tels salaires. Tout se passait en famille, faisant des heures sup ou prenant des congés supplémentaires, pas de pointage, jamais de litiges ni avec la main-d'œuvre, ni avec les clients. Ni de grèves. Et pas de racisme, interdit. Le paternalisme dans toute son horreur, car en ce temps-là, les communistes étaient violemment contre cette non-lutte de classes. En plus, on n'était pas alourdis par une administration pléthorique.

On eut même, hélas pour eux, la visite d'ex-collègues de Guiot qui jadis nous snobaient, pour voir si, par hasard, il n'y aurait pas un poste à pourvoir…

On avait dégoté une usine au Blanc-Mesnil, sur la Molette, ousque mon frangin de la 2e DB avait stoppé une contre-offensive surprise des SS pour reprendre Paris en liesse, à peine libéré. La Molette n'était plus qu'un égout, sous notre parking.

Bientôt, sur ce parking, les bagnoles des prolos et des cadres firent assaut d'élégance, sauf ma petite R5, précieusement conservée car elle se garait mieux en ville, ce qui permet d'aller voir la clientèle plus commodément. Et j'avoue préférer les sous à l'esbroufe.

Je ne vais pas tout raconter, les représentants taciturnes ça n'existe pas, mais depuis que je suis parti en pré-retraite, il m'arrive fréquemment de faire les mêmes rêves: Soit je suis chez un client, où je me démène comme un diable pour vanter mes créations, soit au BE, avec Daniel, Sylvaine, Gilles, luttant contre un déclin irrémédiable. Même, pendant dix ans, je fus chaque nuit persuadé d'être allé tous les jours travailler, bénévolement, au BE ! J'ai même - toujours en rêve - servi de fils dévoué à mon pauvre ex-PDG, M. Maillat, veuf et abandonné par son fils légal.

J'ai pourtant fait bien d'autres métiers, mais aucun ne m'a marqué à ce point. Oui, je sais, c'est barbant, ces histoires de petits vieux qui vous accrochent par un bouton pour vous raconter une centième fois leurs exploits de vendeurs, dessineux, combattants, séducteurs, etc... Moi, c'est tout ça, sauf le dernier truc, j'ai peut-être séduit des filles ou des gars, mais, le nez dans mes bouquins et la tête ailleurs, comment vouliez-vous que je m'en rendisse compte ? Et puis, faut bien le dire, je n'ai guère brillé, sauf pour mes trois bouts-rimés toulousains.

Avoir rêvé d'égaler Chaliapine, Leclerc, Beethoven, Musset, Moïse, Picasso et Jaurès, pour constater que je ne suis qu'un tout petit couillon !. Mais avec beaucoup de chance.

Des fois, je me dis que si j'avais été plus astucieux, plus avide, j'aurais moins bien réussi. Sans doute a-t'on eu pitié de ma naïveté, quelque part là-haut, où un Dieu en qui je ne crois pas n'a pas cessé de me sortir indemne des pires aventures.

Merci, toi qui n'existes pas.

 

 

 

 

Jacob d'Ancône

Que vient faire cet Italien ? Il anticipe: dans le chapitre qui suit, j'explique comment, recherchant ce qu'étaient devenus les Galates, j'ai découvert ces Juifs ignorés de tous, les Rhadanites, marchands des Routes de la soie. Et n'ai trouvé personne hors du cercle familial pour croire à mes hypothèses farfelues:

- Constantinople et la Chrétienté sauvées par les Khazars, juifs, karaïtes ou non.

- l'empereur Aurélien provoquant les Grandes Invasions,

- Charlemagne et Byzance à l'origine de l'essor des Vikings.

- Les Vikings, vassaux des Khazars, vers le 7e siècle, apprenant chez eux l'usage de la boussole.

Et il y en avait d'autres, du même tabac. Aucun éditeur ne m'a même répondu.

J'y parle aussi de l'ancienneté des contacts entre Juifs, Gaulois et Chinois. J'ose supposer que les Tokhariens étaient des Gaulois installés aux portes de la Chine depuis Halstatt, que des marchands sans doute Juifs avaient porté des soies chinoises jusqu'aux rives du Neckar.

 

Rien n'est inventé, mais ne pouvant me baser sur des preuves, inexistantes à ma connaissance, le moindre indice a été décortiqué.

Par exemple, j'ai lu de savants ouvrages datant la selle rigide du +8e siècle, alors que j'ai vu une selle hunnique du +5e s. trouvée en Alsace, puis, au musée de l'Ermitage, à St-Petersburg, une selle rigide scythe du kourgane de Pazyryk, datée du ~6e siècle. 14 siècles d'écart !

Or, les renseignements trouvés sur les Juifs de Chine brillent par leur rareté, ce qui me fit déplorer l'absence d'ouvrages érudits ou non datant de ces temps antiques.

Et voici un bouquin du 13e s. qui me comble: "La Cité des Lumières" de Jacob d'Ancône, où Jacob raconte un voyage en Chine en 1270, si différent de tout ce qu'on sait "officiellement" qu'il a été jugé faux et pure invention par tous les doctes d'Angleterre et USA, Juifs ou non. Mais le découvreur du manuscrit, David Selbourne, affirme que les savants chinois unanimes confirment la véracité des descriptions de ce marchand-voyageur-philosophe-sociologue-ethnologue médiéval, comme les mots du parler local médiéval que Mr Selbourne n'avait guère de chances de connaître.

(Le seul point qui m'ait choqué, c'est la mention d'un mellah (ghetto juif en pays arabe) alors que selon des plumes érudites, le premier mellah fut créé au Maroc vers 1450. Mais ça ne prouve rien, je crois plutôt Jacob)

Or, il dit qu'à Zaitun (Quanzhou, Kouang-tchéou ?), la synagogue a plus de 300 ans (p. 170) et, page suivante, que des Juifs "venus sur ces rivages au temps de nos ancêtres Abraham, Isaac et Jacob" (exagération manifeste, moi, je pense à Salomon (~1000)) qui "vivent depuis si longtemps au pays des Sinimiani (Chinois) qu'ils en ont pris le visage, les coutumes et les noms" avec une Torah en chinois mêlé d'hébreu, un seul de leurs rabbis étant capable de la lire en hébreu.

Quelques chapitres plus loin, (p.290) en controverse avec un érudit, celui-ci déclare: "Au temps de notre roi Migti, les disciples de Moïse, que nous appelâmes alors tachincho (Ta-Kin-Ko ?) puis ciuhu, (Tchou-Hou ?) vinrent dans notre pays depuis Siiui (Sion ?) mais certains disent qu'ils sont venus même au temps des Ciou" (Zhou, Tchou -1122 /~255) ce que David Selbourne, trouve invraisemblable et moi tout à fait possible)

Bien sûr, la mariée est trop belle, la controverse fait rage, pourtant, ayant lu d'un œil très sourcilleux, bien que non expert, je n'ai rien trouvé qui fasse penser à un faux d'une vraisemblance diabolique, qui aurait nécessité un génie encyclopédique. Je fais donc confiance aux savants chinois et affirme en conséquence que ce livre, s'il n'est pas la plus géniale des supercheries, bouleverse tout ce qu'on sait du moyen-âge européen comme de l'histoire mondiale. Si vous le pouvez, lisez-le.

Sinon, mieux encore, lisez "un siècle de Rhadanites" de Henri G. J'envoie le CD gratis à quiconque le désire. C'est touffu, c'est barbant, mais il s'y trouve des corrélations qui me semblent expliquer bien des évènements de l'histoire mondiale. Certes, je n'ai nulle preuve, mais je suis comme l'archéologue trouvant une couche de débris calcinés et qui se dit: cet indice fait croire qu'il doit y avoir eu un incendie à une certaine période. S'il y remarque une pointe de flèche fichée dans un os, il dit qu'il y a des corrélations indiquant conquête et saccage. Rien n'est certain, mais les probabilités sont grandes. Ni plus, ni moins.

fin de 23 - David, Goliath et Jacob