HEBREUX


couverture|- : 1 maman, papa |- : 2 preface | - : 3 résistant |4 Paris - : 5 les Folies bergère |6 boulevards |7 la Cagoule|8 Collaboration|9 Moi|10 Toulouse |11 Pétain |12 Evasion de France |13 dans les Prisons de Franco |14 Adieu douce Europe| 15 Nabouli|16 campagne en Campanie|17 libération de l Alsace|18 retour au Maroc|19 Moun pais|20 remède d apocalypse|21 Mariage|22 fermeture des industries|23 David Goliath|24 Chats gaulois|25 pele mele|26 mein bruder artiste|

1 - Zeyde, bobe, tate, mame (maman,papa)

 

Ça veut dire "grand'père, grand'mère, papa, maman, et pose déjà problèmes: Si bobe vient d'un balto-slave, tate, mame sont d'origine "ind-euro" par le gaulois (des cognats existent en polonais, alsacien, breton) zeyde n'a guère de cognats, bien que "mon père, mon papa" se dise "va zad, va zadig" en breton, grâce à la mutation consonantique qui fait les délices des experts et l'irritation des autres. Un grand père breton étant "tad koz", (vieux père), mon grand'père: va zad koz; en yiddish: mayn zeydé.

Ils ne sont plus. Bribes de souvenirs dans nos mémoires vieillissantes. Ils ne cherchaient ni l'Eternité, ni la Gloire, juste la Justice. Qu'ils reçoivent, avec mon hommage, celui de tous ceux qui les auront un peu connus à travers mes récits. Comment célébrer ces doux héros, nos parents, sans dévoiler les noires conséquences de leurs sombres desseins (survivre) ? On connaît peu de cas d'une telle soif de justice et de bonheur aboutissant à de telles horreurs ! 

Hélas, juste lorsque je voulais l'interroger, papa est mort, dernière plaisanterie, le lendemain de Noël 1993, quelques jours avant ses 102 ans officiels. Officiels, car sous les Tzars, les états-civils des jeunes gens mobilisables furent truqués par les rabbins, pour leur éviter d'être persécutés par l'ignoble soldatesque, dont c'était le passe-temps préféré. Ainsi, l'oncle Henry, son grand frère, était, pour la loi, plus jeune que son cadet, ce qui l'agaçait parfois. Il n'avait pas compris le but inavouable de ces trucages. Donc, j'ignore quand il est né, et bien des choses de lui, car il préférait conter les aventures de ses copains ou de héros de contes et romans plutôt que raconter sa vie. A la Noël 2000, André et moi en contions des épisodes. Ma fille s'est exclamée: "Comment, tu t'ennuies, alors que tu pourrais décrire des aventures si extraordinaires ?" Elle a raison. Commençons par tenter de sauver les souvenirs d'avant leur mariage.

 

Papa

Papa est né en Courlande, vers 1896 à Dvinsk, sur la Dvina, en boche, Dünaburg, maintenant Daugavpils en Lettonie, car son père, tailleur et révolutionnaire, changeait souvent de résidence, comme beaucoup de Juifs au temps de l'imbécile tzar Nicolas.

Daugavpils

Souvenirs d'enfance à la frontière des empires prussien et tzariste, à Kybarts, à l'est de Memel (Klaipeda). Non loin de là, le Niémen pénétrait en Poméranie (Prusse orientale)

Il semble que les habitants, Litvaks, Polaks, Yevréï ou Niemetsyi (Lituaniens, Polonais, Juifs ou Allemands) vivaient moins d'agriculture que de contrebande avec leurs voisins Prussiens. Itzkhok (Isaac), son père, crois-je me rappeler, était tailleur, mais surtout révolutionnaire, peut-être du "Bund", organisation juive prônant la renaissance du yiddish, l'alliance avec les mouvements socialistes locaux et l'égalité des droits de toutes les minorités de l'empire; il voyageait entre Prusse et Sankt-Petersburg chargé de tracts et parfois d'armes. 

Poster du Bund à Daugavpils, mais en 1931

De ce fait, sa clientèle était fort mince, et c'est sa femme, née Ita Blakman, je crois, qui faisait, tant bien que mal, cuire la marmite de bulbe kashe (purée de pommes de terre). Lui était non seulement athée, mais antireligieux et fut célèbre au village pour avoir roulé sur la première bicyclette de Livonie et surtout passé une nuit entière au cimetière, chantant des hymnes révolutionnaires, pour démontrer l'inexistence des gayster (fantômes), de Sotn (Satan) et du Ribonoy shel oylom (maître du monde, Dieu). Les flics du tzar n'osèrent s'approcher, par crainte du mauvais œil.

grand parents paternel

Papa racontait ses propres prouesses au kheyder (école religieuse) où tout bubele (bébé, dérivé de babanos gaulois, par l'allemand, à mon idée) devait aller, passé trois ans, apprendre l'hébreu de la façon la plus stupide qui soit: par cœur et sans rien comprendre. Pour sa grande honte, Papa, se vantait des farces au vieux barbu qui s'endormait souvent, la tête sur la table: punaises sur la chaise, cailloux dans les poches. Car le melamed (instituteur) était plus fort sur la nahayke (nagaïka, cravache, en biélorusse) que sur la pédagogie.

En général, les melamdim étaient les plus bêtes du village, car tout Juif sachant lire, seuls, ceux qui ne savaient que lire étaient choisis, plus par charité que pour leur compétence, dit-on..

Ses autres souvenirs d'enfance sont fort brefs: chapardages collectifs de pommes dans les vergers, baignades dans l'étang-abreuvoir du village, dont on ressortait plus boueux que baigné, et souvent bagarres à coups de cailloux contre les petits péquenots Litvaks, aussi anti-juifs que leurs parents. Mais, semble-t'il, des contacts avec rousskis ou daytshn (boches), à l'école. A présent, on dit en yiddish lite et poyl pour Lituanien ou Polonais goys, litvak ou polak pour Juif lituanien ou polonais, mais chez moi, litvak ou polak, c'était des goym. Les Prussiens juifs étant des yéké

Je parlerai souvent de Boches, Rousskis ou Polaks, moins d'Espingouins, Youpins, Frankaouis, Arbis, Mecs ou Nanas: Je méprise nations et nationalistes, ceux qui s'en offusquent et même presque tous les Humains. Na !.

 
Enfin, un authentique complot juif: sounamis
(La Sunamite, 2 Rois, IV, 1 à 37)

Vilné, "la Jérusalem de l'est" était célèbre dans le monde juif pour la science de ses talmudistes, dont le "Gaon de Vilna" qui mena une lutte acharnée contre les "Khassidim" ces Juifs pieux mais exaltés qui chantaient plus qu'ils ne priaient et firent de nombreux adeptes surtout en Galicie et Ukraine. Autre célébrité, le blagueur Motké Kabad, aux farces restées légendaires. Tout ça à peu près au temps de Napoléon. Plus tard s'y créa l'YIVO, institut laïque étudiant et recueillant les coutumes, légendes, chansons, superstitions, recettes de cuisine et surtout dialectes divers du yiddish, avec musée, labos, bibliothèques. (maintenant à New-York)

Vilna

C'est là que s'élabora, empruntant aux trois principaux dialectes (lituanien, galicien et ukrainien), le "yiddish standard", où la prononciation lituanienne domine: Là où le boche goy dit: Jahr (yâr, année), le Juif polak dit: yir, le litvak: yôr, le roumain-ukrainien: yur. Pas la seule différence, mais la principale, d'où la supériorité des Litvaks. Tout fut pillé, saccagé par les nazis et l'Ypatinga, les super-nazis litvaks.

Vilna

De cela, mon grand-père, donc mon père, n'avaient cure. Sauf sur un point: C'est à vilne yiddish; (russe Vilno, polonais Vilna, lituanien Vilnius) que naquit le théâtre yiddish. Dont, bien sûr, bien des thèmes furent puisés dans la toyré (Tora, Bible). Les troupes allaient jouer de shtetl en shtetl (bourgades juives) et l'une d'elles vint à Kybarts, avec une pièce "sounamith" (Sunamite), tirée de l'histoire du prophète Elisée. (pas de majuscules en yiddish, comme en hébreu)

Le metteur en scène ayant besoin d'un chat promit une place gratuite à qui en apporterait un beau. Tous les gamins partirent en chasse, ramenant des régiments de minous. Le directeur choisit le plus beau, renvoya les recalés, amèrement déçus. Le soir de la représentation, quand le kats sélectionné parut en scène, des cintres supérieurs où ils s'étaient cachés, les sales mômes firent pleuvoir une ribambelle miaulante qui déclancha une véritable panique, suivie de rires. Ce fut son premier complot.

Qu'en dire ? i1 lisait beaucoup, tout ce qui lui tombait sous la main. D'après de rares photos et mes souvenirs, il avait une "tête de Russe"* y compris le sourire "en ~", que j'ai retrouvé dans bien des films montrant des jeunes fonyés (russes). Ne sachant pas, comme la plupart de ses compatriotes, lire le yiddish, d'ailleurs pratiquement introuvable, il lisait et parlait par contre le russe à la perfection, sans le moindre accent, m'ont dit ses amis Russes blancs, savait par cœur des tas de poèmes et chansons de Poushkine, Lyermontof et autres classiques. Il en écrivit lui-même des milliers, hélas tous perdus.

*il n'était pas le seul voilà une photo trouvée d'une autre famille à Dvinsk, quelle ressemblance !

Parmi ses favorites, les aventures de Tom Soyère (Sawyer) et Guek Finne (Huck Finn), mais aussi Natte Pinekertonne, le détective américain. (Il y eut un vrai Nat Pinkerton, dont la spécialité fut la chasse aux socialistes et syndicalistes yankees)

A peine pubère, Simon (Shimeyn) dût bosser pour nourrir frères et sœur (Achille (Yekhiel), Odette (Oda), Rachel (Roykhiel). Où était donc l'aîné Henry (Hershl) ? J'en parle ailleurs. Il avait dû passer la frontière et, j'ignore comment, parvint à Toulouse où la fortune lui sourit. Laissant Simon chargé de famille. Fumeur de poissons, il faillit mourir asphyxié par le mortel oxyde de carbone. Il fut porte-faix, ce qui l'empêcha de grandir. Vers 1912, à 16 ans il accompagna son père à odes (Odess, Odessa) Merveilleux souvenir, car la plus française des villes russes était aussi une capitale de l'intelligentsia juive. Y crevant de faim, mais le printemps y était si doux..

Surtout, on y chantait, dansait, s'amusait, se promenait dans toutes les langues et avec les populations les plus diverses: Grecs, Roumains, Arméniens, Géorgiens, Tcherkesses, Turcs, Russes, Allemands, unis dans leur mépris - et leur crainte - des gendarmes et fonctionnaires russes. Bien sûr, tous, disait mon père, s'entendaient bien. La ville était belle, surtout au printemps, car les arbres (des acacias, je crois) la parfumaient de toutes leurs fleurs. (Les beaux escaliers sont devenus immortels depuis le cuirassé Potiemkine, d'Ayzenshtayn (Eisenstein.) Papa nous apprit qu'un Français, le duc de Richelieu, dessina le plan de la ville et fit construire les beaux édifices. Surpris de notre ignorance, il ne put pourtant nous confirmer si c'était lui qui avait assiégé la Rochelle. Comme les dates ne concordaient pas, nous déduisîmes un fils ou petit-fils du seul Richelieu connu en France. Paix à son âme criminelle.

Commis d'un marchand, celui-ci, mobilisé, lui confia son magasin sans lui laisser un sou. Papa attendit, eut faim, chercha de petits boulots dans la ville désorganisée par la guerre qui s'éternisait, dût, mobilisé, rentrer en Courlande. Mais sans argent, caché sous un banc du wagon, il fut repéré et termina son odyssée odessienne en prison. Là, régnait un Cyclope, caïd antijuif borgne qui gagnait toujours aux dames; il avait fixé la récompense du vainqueur: un douloureux pinçon, qu'il infligeait avec enthousiasme à ses co-détenus, surtout les kurwa žid (kourva jid, putain de Juif, en polonais). Papa fut choisi, et, à l'effroi général, gagna la partie. "Maintenant, paie !" dit-il au tortionnaire en lui tordant le poignet. L'autre voulut se libérer, mais papa était d'une force que je certifie herculéenne, pliant comme paille des barreaux de fer gros comme un doigt. Après quoi, les parties de dames reprirent de plus belle, sans appréhension.

 Il échappa à l'armée russe: A peine rentré en. famille, la Livonie fut occupée par la Reichwehr. La vie y devint rapidement atroce, les szwabski (shvabski, boches en polaque) goulus volant tout, surtout ce qui se mange. D'après maman, il n'y eut qu'une seule fois distribution de vivres par les feldgrau, un fromage si véreux qu'aucun civil, juif ou goy, ne voulut même y goûter, malgré la visible délectation des occupants qui s'en gavaient pour démontrer l'inocuité du produit. Il est vrai que ces pays barbares ne connaissaient, m'a-t'on affirmé, que crème fraîche et fromage blanc, seuls produits laitiers. Est-ce vrai ? En hiver, le lait se raréfie et le fromage sec serait bien utile. Aux gastronomes de me détromper.

Chargés de cadavres squelettiques ou enflés, des chariots parcouraient la ville matin et soir.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les Juifs s'en tiraient un peu mieux que le reste, car seuls germanophones, indispensables interprètes, on les préférait comme employés ou ouvriers, car ils comprenaient les ordres qu'on leur donnait. Les "bouches inutiles": enfants, vieillards ou malades, n'avaient qu'une issue: mourir de faim. Papa devint d'abord bûcheron, car il fallait chauffer dur pour survivre aux froids humides de la côte balte. Puis, au grand bonheur de sa petite smala, travailla pour les occupants dans une confiturerie: c'était la survie assurée.

 

premier contre-exploit historique

Maman nous a raconté l'allégresse des populations, capturant les boches en retraite pour les déshabiller et les renvoyer tout nus chez eux. C'était l'hiver 1918/19. S'ensuivit une longue, confuse et sanglante guerre où les villes pouvaient changer trois fois de statut en trois jours: nationalistes polonais, lituaniens, Russes blancs, Russes rouges, anarchistes... Entrant dans un village, ils interrogeaient le premier habitant qu'ils fusillaient s'il avait le malheur de se tromper de libérateurs. Seule consolation: lorsque le Polak, le Litvak ou le Blanc décampaient, les mômes du village leur couraient après, non pour les caillasser, mais ramasser fusils, musettes, casques et autres équipements, surtout capotes, abandonnés pour faciliter la fuite. Maman en rigolait encore. Mais, à ce jeu dangereux, faillit être prise une ou deux fois pour l'ennemi par les vainqueurs.

Et Papa ? Trou noir dans ma mémoire. I1 se battit dans l'Armée Rouge de Trotski, fier de cette armée où tout larcin, vol ou viol était puni de mort. Il en parlait peu, sauf de marches et de rares combats, et pour raconter comment les habitants adoraient ces soldats pas comme les autres qui payaient ce qu'ils achetaient et protégeaient bêtes et gens. Mais si vous lisez "Cavalerie rouge'', Isaac Babel y raconte pourtant bien des atrocités. Son plus triste souvenir: les Polonais avaient pris une ville. Où mon grand-père, devenu commissaire politique, qui n'avait pas vu son fils depuis des années, fut capturé. Les Polaques, l'attachant par un pied à la queue d'un cheval, lui firent faire ainsi le tour de la ville. Le lendemain, le régiment de papa reprit la ville.

On fit de grandioses funérailles aux malheureux, aux sons de la célèbre marche funèbre soviétique:

Vous êtes tombés pour tous ceux qui ont faim / Pour ceux qu'on méprise et qu'on opprime

De votre pitié pour vos frères humains / Martyrs et victimes sublimes

Mais l'heure a sonné et le peuple vainqueur / S'étire, respire, prospère

Adieu, camarade, adieu, noble cœur / Adieu, le plus noble des frères

C'est plus beau en russe. Mes frères et moi l'avons chanté (plutôt murmuré) sous la pluie, à Sablonnières (Seine-et-Marne), portant sur nos épaules le cercueil du vieux guerrier. Dans le film d'Eisenstein, le cuirassé Potiemkin, c'est la musique (de Chostakovitch ?) qui accompagne les hommages funèbres du matelot Korneytchuk (si je me souviens bien)

 

seconde prison, second complot

Son meilleur souvenir: Un matin, de garde au pied d'un pont suspendu dont des câbles sabotés pendent jusqu'au sol. A la force du poignet, en capote, son fusil en bandoulière, il se hisse jusqu'au tablier du pont. En redescendant, il écopa de deux heures de garde supplémentaire pour abandon de poste devant l'ennemi. Alors, se justifiait-il, qu'il voulait justement mieux épier ses mouvements ! Sa malchance (?) eut lieu justement au bord de la même rivière: Eclaireur, patrouillant la rive, trois Polaks se jetèrent sur lui, l'un le ceinturant par derrière, l'autre arrachant son fusil: il était prisonnier et fut enfermé dans un camp, près de Vilno, capitale de la Lituanie, conquise et annexée par la Pologne.

Ça se passait vers 1920. On connaît l'histoire: Lénine et Trotski voulaient susciter une révolution rouge en Allemagne, il leur fallait donc traverser la Pologne. Les anarchistes de Makhno avaient inventé une arme très efficace: n'ayant ni chars d'assaut, ni même camions ou autos, on attelait un cheval à une vulgaire charrette. Sur le plateau, une simple mitrailleuse, bien calée. Et ses munitions. Et Hayda ! (hue) Cet ancêtre de la Jeep, cette résurrection du char de combat assyrien, la tatshanka, sema la pagaille dans les armées blanches, surgissant à l'improviste, s'éclipsant après quelques rafales meurtrières et redevenant aussitôt banal outil agricole. Elle fut copiée par les Rouges, l'invention attribuée au partisan Tshapayef. Mais l'Etat-major rouge fut déjoué par un général "prêté" par la France: Weygand. Dont l'aide de camp, jeune officier ex-prisonnier des Allemands, avait au cours de sa détention longuement réfléchi aux moyens de la guerre-éclair grâce à la cavalerie blindée. Mais oui, vous l'avez reconnu, c'était de Gaulle. Là, le problème était: Comment vaincre cette "armée de tatshankas" mobile, mais légère, sans canons ni armes lourdes ? Tout s'est passé comme si quelqu'un, peut-être de Gaulle, a conseillé aux Polonais de laisser entrer les Rouges, déjà épuisés par des années de durs combats, sans presque leur résister, sauf par escarmouches mais surtout raids aériens meurtriers sur leurs arrières pour détruire ravitaillement, tatshankas et munitions.

Charles de Gaulle

Après de durs combats en Ukraine, les Rouges, surpris, se virent partout accueillis en libérateurs et arrivèrent en quelques chevauchées sous les murs bien fortifiés de Varsovie. Mais sans munitions ni ravitaillement. D'ailleurs à quoi bon, ne voyaient-ils pas flotter partout banderoles et drapeaux rouges ? Les banderoles cachaient des canons de 75, ravageurs. Le désastre fut total. Les livres d'Histoire expliquent ainsi l'arrivée de la doctrine du "socialisme dans un seul pays"....

Si vous aviez le temps, je vous expliquerais que de Gaulle avait renouvelé la tactique du général de Lanrezac, le vrai vainqueur de la Marne en 1914, grâce à sa défense de Guise, qui força von Kluck à obliquer vers Reims plutôt que foncer sur Paris. Et dont les troupes, après cette victoire du 75 gaulois sur les mitrailleuses teutonnes, tombèrent, à marches forcées, sur le flanc ouest des uhlans saouls de champagne. Les taxis de la Marne: beaucoup de propagande, surtout la preuve de l'utilité des autos. Mais plus médiatiques.

Bon, mais ton père, que devint-il ? Chez les occupants polonais, son compte était bon: Juif × né en Lettonie × parlant russe × pris en Lituanie, passe. En outre, × soldat de l'Armée Rouge, il avait de fortes chances (puissance 5) de ne pas faire de vieux os.

Alors, la main de Dieu (ou de Satan, ou du judaïsme international ?) frappa l'Europe et le sauva, tuant plus de monde en quelques mois que tous les combats depuis six ans: le typhus..

Ravageant le camp de prisonniers où mon futur père attendait la mort à coup sûr. Elle fut suivie de la "grippe espagnole", encore plus meurtrière, qui emporta ma grand'mère maternelle

Soignant spontanément ses frères de douleur, Dieu sait par quel miracle, il les guérit presque tous.

Du coup, les garde-chiourmes polonais vinrent le chercher. Il les sauva, capitaine du camp compris.

Y gagnant un surnom: Matiuszka (Matioushka, maman). Obtenant le droit d'aller en ville chercher remèdes (et ravitaillement) C'est sans doute ainsi qu'il s'éprit de la fille du boulanger, Jenny (Khaya) Tsviling, blonde Juive aux yeux verts. Si lui avait une tête de russe goy légèrement mongolisé, elle avait un beau visage ovale de polonaise 100 % goye. Forte comme peu, elle montait au grenier de son papa Berel des sacs de farine de 5 pouds (80 kilos) !

Simon fut-il libéré ou s'évada-t'il ? Toujours est-il que c'est à Poniévèje (Panevežis, 50 km N Kovno) en Lituanie (car Vilné était annexé par la Pologne) qu'ils se marièrent. S'il n'avait été pris par les Polaks, il serait sûrement mort au Goulag, donc je n'écrirais pas cette histoire. Leur premier bébé, une fille, mourut d'une méningite. Ils s'installèrent à Kovne, rebaptisé Kaunas par les Lituaniens, (Kovno en russe, Kasenburg en boche) devenue capitale par intérim, non loin du fatidique Niémen.

troisième complot, troisième prison

Papa devint "limonadier volant": Il fallait livrer le premier aux cafetiers la boisson tant attendue avant les concurrents. Renouvelant les exploits de Tshapayef, il y eut des courses folles dans les larges rues de cette ville aux maisons basses (les artilleurs du tzar avaient exigé qu'aucune ne dépasse trois étages). Un des premiers souvenirs de mon aîné, alors Khaïm, (la Vie, en hébreu) c'est l'immense et sombre écurie: De grands chevaux alignés jusqu'à l'infini.

Papa sur chariot

L'hiver n'étant pas bonne saison pour la limonade, papa entra dans une usine d'imperméables où il fallait apporter sa machine à coudre pour être embauché. Et devint militant syndicaliste. Le patron (juif) lui avait expliqué: "Qu'est-ce qu'il faut à un ouvrier ? Du pain, des patates, c'est tout !" Le syndicat de papa était fort mal vu, au point qu'on leur envoya un nouvel adhérent si curieux qu'on devina vite un mouchard. Lui casser la gueule ? C'était risquer une intervention policière. En outre, on leur enverrait un nouveau mouchard, plus difficile à repérer. Papa eut une idée. Au bout de quelques réunions, il félicite l'espion de son assiduité, le remercie et se décide, hésitant, à lui confier une tâche difficile: recruter les ouvriers d'usines aux patrons plus sordides encore que le sien. Du coup, pour ne pas être démasqué, le mouchard fit merveille (sans doute aidé en sous-main par les flics) Un vrai pope Gapone, ce flic du Tzar qui devint un des pires opposants. Encore un complot juif contre les gentils patrons !

 Oui, mais... Une fois lancé, le mouvement s'élargit au pays entier, grèves sur grèves.. Une première arrestation de papa provoque une première grève, il fallut que le patron aille le rechercher et ramener en fiacre. Excédé, le patron le renvoie. Papa prend sa machine à coudre sous le bras et se dirige vers la sortie. Suivi de toutes les ouvrières, qui déclarèrent au patron affolé: "Puisque notre père s'en va, on l'accompagne"

Ce mouvement syndical, qui évitait avec le plus grand soin tout noyautage politique, devint l'un des plus avancés d'Europe. Les droits ouvriers, notamment contre les licenciements, étaient bien supérieurs à ceux des ouvriers suisses ou français. Et la Lituanie devint l'un des plus prospères pays d'Europe, contrairement à toutes les théories alors en vigueur. Mais le patronat (souvent juif) n'admettait pas une telle hérésie, y voyant une nouvelle preuve du complot juif. Papa fut de nouveau emprisonné, de nouveau libéré par la pression populaire et trois députés vinrent le chercher lorsqu'il sortit de prison.

Mais lui conseillèrent d'émigrer, car ils savaient son assassinat programmé. C'est ainsi qu'avec sa femme et deux gosses, il dut prendre le train pour Toulouse, en 1926. Sitôt parti, les fascistes locaux réussirent un coup d'Etat qui fit de la démocratique et riche république le plus pauvre des pays baltes, vivotant d'exporter volailles et bois. Par contre, les farouches "nationalistes" furent d'admirables laquais de ces grands comploteurs Juifs: Salazar, Mussolini, puis Hitler.

Ce qui me fait méchamment dire que si Papa n'avait pas été si bon orateur, l'histoire du monde aurait pu être fort différente. Déjà, dans l'Armée Rouge, il avait naïvement participé à renforcer les bandits bolcheviks. Là, il a "provoqué" en grande partie ce putsch.

On verra plus loin qu'une troisième et une quatrième fois, il fut auxiliaire involontaire mais important des ennemis mortels de l'humanité !

Le reste de l'histoire de mes parents est mêlé à mes souvenirs d'enfance et de guerre, que vous lirez ensuite. Ne croyez pas à du radotage: le texte de ce chapitre date de 2001, alors que les suivants furent écrits bien avant, et vous pourrez ainsi constater à quel point la mémoire se détériore chez les vieux.

Néanmoins, certains détails éclairent et corroborent les textes que vous trouverez plus loin.

Une certitude: Le Diable lui-même n'aurait pu imaginer mieux pour s'emparer du Monde: guerres, épidémies, guerres civiles, complots bolchevik puis hitlérien: Le XXe siècle a vu l'Europe déchirée, et nous, les Sages de Sion, avons poussé la ruse jusqu'à nous faire exterminer pour que nul ne remarque notre évidente culpabilité !

Même pour mes parents, il m'a fallu près d'un siècle pour deviner que de leur bonté, leur dévouement et leur héroïsme découlèrent souvent les pires conséquences.

Hélas, que ce soit avec l'Armée Rouge, les syndicats lituaniens, la Cagoule, les avions Dewoitine, les droits des Polonais juifs en Espagne ou le militantisme communiste, le rôle que nous avons joué a favorisé dans presque tous les cas les pires salopards que la Terre ait jamais porté !

En fait de Sages de Sion, on fut les Stupides de Sion ! Seuls points positifs:

- notre modeste rôle dans la Résistance, recrutant une centaine de jeunes futurs FFI, FTP

- le combat en Espagne de papa pour l'égalité des droits des Polonais juifs

- l'action des hommes de la famille combattants, de l'oncle Charles en 1940 au cousin Maurice parachutiste, André mitrailleur sur half-track, Papa infirmier militaire, Achille le myope, cuisinier du général de Larminat et moi qui ai tout de même hissé les trois couleurs sur la dernière ville libérée de l'est de la France et ai conquis la dernière position boche en France de l'est.

- mais surtout, ai contribué à la destruction de la principale source de carburants hitlérienne, où je n'ai joué qu'un rôle fort mineur, mais décisif.

fin de "1 - Zeyde, bobe, tate, mame (maman,papa)"

 

  2 preface | - : 3 résistant |4 Paris - : 5 les Folies bergère |6 boulevards |7 la Cagoule|8 Collaboration|9 Moi|10 Toulouse |11 Pétain |12 Evasion de France |13 dans les Prisons de Franco |14 Adieu douce Europe| 15 Nabouli|16 campagne en Campanie|17 libération de l Alsace|18 retour au Maroc|19 Moun pais|20 remède d apocalypse|21 Mariage|22 fermeture des industries|23 David Goliath|24 Chats gaulois|25 pele mele|26 mein bruder artiste|

 

 


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